En légalisant les inégalités sociales, le régime entend construire des féodalités. En tout cas, cette réforme va à contre-courant de la promesse républicaine.

La révision constitutionnelle en cours induit un changement des plus rétrogrades : la création d’une caste de privilégiés, décideurs de tout mais responsables de rien. Le régime a opté pour une société féodale. © Droits réservés

 

Depuis un peu plus de deux ans, le Gabon connait un flottement institutionnel sans précédent. A travers la très controversée décision n° 219/CC du 14 novembre 2018, une notion peu courante dans la littérature juridique fit son apparition : l’indisponibilité temporaire. Dès lors, tous les bricolages juridico-institutionnels et toutes les mise en scène politiciennes devenaient possibles. A la faveur de la révision en cours, le gouvernement s’est employé à mettre fin au semblant d’État de droit tout en abolissant la République. En invitant la Cour constitutionnelle à se mêler de la gestion quotidienne de la cité, il lui a donné des prérogatives reconnues aux politiques. En adoptant des protections diverses et variées, il a rompu le principe d’égalité des citoyens devant la loi. Comme si le Gabon avait vocation à devenir une république des juges. Comme si le peuple gabonais était prédisposé à vivre sous une société d’Ancien régime.

Dangereux glissements

S’étant évertué à renforcer les pouvoirs du président de la République, le régime entend construire des féodalités. Ayant œuvré au bouleversement des pouvoirs constitués, il cherche à légaliser les inégalités sociales. N’en déplaise aux zélateurs de tout poil, la révision constitutionnelle induit un changement des plus rétrogrades : la création d’une caste de privilégiés, décideurs de tout mais responsables de rien. Pour ainsi dire, cette réforme va à contre-courant de la promesse républicaine. Pourquoi le président de la République et les parlementaires doivent-ils jouir d’une immunité à vie ? N’est-ce pas une façon d’en faire des citoyens au-dessus des lois ? N’est-ce pas une manière de leur donner droit de vie et de mort sur leurs semblables ? Pourquoi le président de la République doit-il avoir le pouvoir de nommer des sénateurs ? La souveraineté nationale lui appartient-elle désormais ?

En portant de telles idées, le régime a opté pour une société féodale. Le président de la République pourra-t-il nommer des sénateurs, c’est-à-dire des ’’élus’’ nationaux censés assurer la représentation des collectivités locales ? Il offrira plutôt une immunité totale à des citoyens choisis par ses soins. Dans le même temps, il bousculera les équilibres politiques nés du suffrage universel. C’est dire s’il se placera désormais en concurrent du peuple souverain. C’est aussi dire s’il disposera du pouvoir de hiérarchiser les citoyens, au risque de consacrer l’impunité pour une certaine caste. C’est enfin dire s’il pourra constituer un réseau de barons locaux acquis à sa seule personne. Les concepteurs de ce projet avaient-ils conscience de tous ces dangereux glissements ?

Déconstruction de la République

En croyant «combler le vide juridique lié à certains événements majeurs qui ont impacté le fonctionnement régulier des institutions et des pouvoirs publics», le gouvernement a joué les apprentis-sorciers. Tout en érigeant le président de la République en quasi-monarque de droit divin, il lui a donné la possibilité de désigner des seigneurs locaux, jetant les bases d’une société d’ordres. Dans cette nouvelle hiérarchie sociale, on distinguera : les juges constitutionnels, omniscients, compétents en toute matière et jouissant de tous les privilèges ; les parlementaires, au-dessus des lois ; et le petit peuple, assujetti à tous les devoirs, y compris celui de ne rien dire. Pour la République, cette révision constitutionnelle ressemble à des «obsèques», selon la formule de Minault Maxime Zima-Ebeyard.  «Maintenant que la République est bien installée dans le cercueil (…) c’est quoi le coup d’après», a lancé le député de l’Okano à Rose Christiane Ossouka Raponda. On serait tenté de lui répondre : «L’instauration d’un régime féodal, avec un roi, des seigneurs et des serfs

Pourtant, moins de 24 heures après l’audition de la Première ministre, l’Assemblée nationale adoptait le texte à une écrasante majorité. Malgré les craintes exprimées par les forces sociales, en dépit des railleries entendues çà et là, les députés affiliés au Parti démocratique gabonais (PDG) ou à ses alliés choisissaient l’obéissance aveugle aux consignes partisanes. Espèrent-ils jouir d’une impunité à vie ? On ne se privera guère de leur rappeler les cas Justin Ndoundangoye et Tony Ondo Mba : couverts par le statut de députés, les deux anciens ministres croupissent aujourd’hui au pénitencier de Sans-Famille, leur immunité parlementaire ayant été levée au pas de course ou simplement niée. Au vu de ces précédents, les votants d’aujourd’hui n’ont pas des raisons de se réjouir. Sauf s’ils ont définitivement renoncé à leur libre-arbitre. En attendant, ils viennent de prendre une part active à la déconstruction de la République voire à l’instauration d’une société d’Ancien régime.

 
GR
 

5 Commentaires

  1. Martine dit :

    C’est au peuple de se lever. S’il ne fait rien, il perdra non seulement son âme, mais aussi sa terre. Il deviendra étranger et esclave chez lui. Et nos députés maboules en dont responsables à 100%.

    Avec CE torchon de constitution, mieux vaut ne plus faire d’enfants, car ils vivront un esclavage INSOUTENABLE.

  2. Theydert Pauline dit :

    Les gabonais se lèveront lorsqu’ils n’auront plus rien à grignoter dans leur maison et puis, je crois finalement qu’Ali n’est plus au commande de ce pays le spirituel traditionnel va entrer en jeu ce mois de janvier 2021.les 30 millions que chaque député a reçus pour l’adoption de ces réformes vont rester coincés dans leur gorges, ils ont maudits leur progéniture. Ali n’aurait jamais dépensé autant d’argent pour avilir la peuple. Regardez seulement…

  3. Lavue dit :

    Nous avons tous de près ou de loin un parent dans le PDG, il faut commencer par ne plus respecter ces gens, leur montrer à quel point ils ont irresponsables. Ce sont plour la plupart de pauvres gens, qui pensent que faire de la politique c’est aller à la recherche des avantages personnels.
    Les PDGistes installés dans toutes les sphères du pouvoir sont les premiers responsables de la décadence du pays. Ne soyez pas étonnés qu’un jour ils fassent du pays une monarchie qui leur profiterait en premier. Ce sont des idiots, de véritables imbéciles; qui savent pourtant tous que ALI BONGO est homme fini, mais qui continue de jouer un vilain jeu, qui conduit à la fragilité sociale et économique du pays. Un Remplaçant apte intellectuellement et physiquement, même issu du PDG, aurait épargné tous ces bricolages constitutionnels. Le PDG est une secte, je ne cesserai jamais de l’affirmer, les comportements de ses élus le prouvent. On ne gouverne pas un pays avec une secte comme parti au pouvoir.
    Les PDGistes sont à craindre, des hommes sans « couilles », des mous et corrompus pour la majorité, et le clan BONGO profite de cette organisation, ce qui peut se comprendre. Le peuple est dernier de leur souci.

  4. Paul Bismuth dit :

    Ce système d’ancien régime a toujours existé. C’est juste que aujourd’hui il est plus que jamais consacré par le droit positif. L’étape suivante sera sans doute la modification de la forme républicaine de gouvernement. Comme cela le tout sera cohérent.

    Mais comme disait Benjamin Constant, tout ce qui se maintient par la force est voué à tomber. Donc ce système finira en « raccourcissements », comme celui qu’ont connu nos ex colonisateurs. Cependant, cet horizon demeurera encore loin tant qu’on gardera cette mentalité d’agneaux.

  5. […] La Constitution gabonaise, adoptée en 1991 et maintes fois modifiée, est sur le point de connaître une transformation radicale. En réponse aux critiques de longue date, une réforme complète de la Constitution a été plébiscitée par la population lors du Dialogue national inclusif en avril 2024. Pour mener à bien cette réforme, la junte au pouvoir a nommé le 8 mai un Comité constitutionnel national de 21 membres, chargé de rédiger un nouveau texte. RFI a obtenu les détails des principales mesures de cette nouvelle Constitution. […]

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