Tribune libre | Commande publique : Tous soumis à la transparence
Dans la tribune libre ci-après, Judicaël Kou-Vassa, diplômé en Ingénierie juridique, spécialisé en Gestion et Administration des Marchés publics et des partenariats public-privé, présente le principe de transparence comme un impératif à l’efficacité du système de passation et d’exécution des marchés publics au Gabon qui, selon lui, s’impose à tous les acteurs et à toutes les étapes de la commande publique. «Reste la nécessité de préserver d’autres principes essentiels tels la confidentialité et le secret des affaires».
Aborder la question de la transparence dans les marchés publics au Gabon peut s’avérer paradoxal, voire iconoclaste. En effet, pour de nombreux Gabonais, les marchés publics constituent un univers de fraude, d’obscurité et de favoritisme où se déroulent d’abondantes tractations secrètes entre les acheteurs publics gabonais et les entreprises privées. Et l’actualité judiciaire gabonaise de ces derniers temps, mettant en évidence les délits supposés ou avérés de corruption active ou passive susceptibles de concerner ou concernant les acteurs de ces contrats ne peut que venir renforcer ce sentiment d’une part, et d’autre part, les récentes déclarations du ministre du Budget et des Comptes publics lors de l’ouverture des conférences sur la planification de la passation de la Commande publique au Gabon le 17 décembre dernier lorsqu’il affirme que :
« la prééminence des ententes directes comme procédure de passation des marchés, matérialisée par une proportion de plus de 80% de marchés passés de gré à gré, en violation des dispositions de l’article 71 du Code des marchés publics ; l’absence de transparence caractérisée par un accès limité du public aux informations sur la passation des marchés ; la fragilité du cadre institutionnel de la commande publique ; la faible maîtrise des procédures par certains acteurs publics, qui conduit souvent à une exécution tardive des crédits d’investissement prévus dans la Loi de Finances ; le manque de statistiques fiables et de système d’information sur la planification, la passation et la gestion des marchés publics, connecté au système de gestion budgétaire ; et l’absence de stratégies et de plans d’action pour le renforcement des capacités des acteurs de la commande publique » ne sont pas des moindres dans la confortation de ce sentiment.
Or, c’est pourtant au travers de la mise en place d’une transparence sincère et véritable que l’image des marchés publics au Gabon pourra être redorée, avec l’effet d’entrainer le renforcement d’un lien de confiance entre le secteur public et le monde économique. Qu’il est d’ailleurs important de rappeler ici que les partenaires extérieurs s’accordent désormais à n’apporter leurs concours qu’aux États qui ont au préalable élaboré et mis en application des règles transparentes de passation et d’exécution des marchés publics.
Consacré formellement, par les dispositions de l’article 5 du Décret 00027/PR/MEPPDD du 17 janvier 2018 portant Code des Marchés Publics au Gabon, ainsi qu’au travers des dispositions du Décret n°0094/PR/MBCP du 8 février 2016 portant Règlement général sur la Comptabilité publique, le principe de la transparence est, avec la liberté d’accès et l’égalité de traitement, un des trois piliers du droit des marchés publics et au-delà, du droit des contrats de la commande publique. On retrouve ce principe à la fois en amont et en aval des procédures de passation relatives à ces contrats. La transparence, c’est en effet à la fois la publicité le plus large possible, afin qu’un maximum de candidats puisse répondre à une procédure de marché public et à la fois un devoir d’explication et de justification auprès des candidats évincés desdites procédures.
Quelle signification concrète de ce principe ?
Comme l’affirme Jean Marc Peyrical, la transparence est la propriété de ce qui est transparent ; ce dernier adjectif pouvant se définir comme « dont le sens se laisse deviner, saisir aisément » et ayant pour synonyme « clair », « limpide », « évident ».
Ainsi, appliqué au droit et à la pratique des marchés publics, cela signifie que les acheteurs publics gabonais, mais aussi les entreprises soumissionnaires ne peuvent rien dissimuler de leurs intentions, de leurs choix et de leurs décisions. Mieux c’est l’application équitable et rigoureuse des procédures connues et qui constituent exclusivement la base des décisions d’attribution des marchés. Elle n’est donc pas l’apanage des pouvoirs adjudicateurs ; elle s’applique aussi aux opérateurs économiques, qui ne doivent occulter aucun élément relatif à leur situation. C’est sans doute dans ce cadre que l’article 89 du Code des Marchés Publics impose à tout soumissionnaire à un marché public, et ce quel que soit le mode de passation, de justifier de sa capacité juridique, technique et financière, nécessaire à l’exécution des prestations considérées.
Il s’en infère donc que la transparence renforce la crédibilité des acteurs publics et privés intervenants dans le système des marchés publics au Gabon et contribue à la satisfaction, en qualité et en quantité suffisante, de la demande des populations en matière notamment d’équipements collectifs et d’infrastructures publiques. C’est donc là tout l’intérêt du citoyen gabonais de revendiquer légitimement le droit d’être tenu au courant non seulement de l’utilisation des fonds publics qu’il a contribué à mettre en place notamment par le biais de la fiscalité, mais aussi du résultat de leur affectation.
Il appartient donc à chaque acheteur public gabonais de mettre en place un véritable mécanisme de publicité. D’ailleurs, l’article 83 du Code des marchés publics dispose à cet effet que « La publicité se fait par insertion de l’avis d’appel d’offres au journal des marchés publics et, le cas échéant, dans toute autre publication nationale ou internationale ainsi que sous le mode électronique, selon un modèle élaboré par l’autorité de régulation des marchés publics ». Il est donc constant que les règles relatives à la publicité, édictées par le Code des marchés publics sont conformes aux standards internationaux, mais ne sont pas respectées dans la pratique, puisque même le Journal des marchés publics au Gabon ne paraît plus depuis pratiquement cinq ans. Les autorités de contrôle devraient donc veiller à ce que tout marché qui n’a pas été précédé d’une procédure de publicité suffisante et de mise à concurrence soit sanctionné.
Mais, ainsi que cela a déjà été avancé, la transparence concerne également la phase aval des procédures de passation des marchés publics et dans une plus large mesure, des contrats de la commande publique. En droit positif gabonais, le titre premier : des atteintes à la bonne gouvernance publique du livre V de la loi 042/2018 du 05 juillet 2019, portant Code pénal modifiée par la loi 006/2020 du 30 juin 2020 a ainsi eu, me semble-t-il, pour premier objectif de renforcer la transparence dans les marchés publics et les autres contrats de la commande publique au Gabon. Ce renforcement s’est notamment fait au travers des dispositions, des articles 503 à 509 relatives respectivement à la prise illégale d’intérêt, à la lutte contre les atteintes à la liberté d’accès et l’égalité de traitement des Candidats dans l’attribution des contrats de la commande publique, ainsi que de la lutte contre la corruption, qu’elle soit passive ou active.
La transparence, c’est aussi l’open data, c’est-à-dire l’accès aux données essentielles des marchés publics. Ainsi, les acheteurs publics gabonais devront offrir sur leur profil la plateforme à laquelle ils sont ou seront reliés un accès libre, direct et complet aux données essentielles de leurs marchés publics. Concrètement, cela signifie que seront portées à la connaissance du public toutes les informations relatives aux marchés publics. Cet open data entre en fait dans le vaste mouvement de dématérialisation et de digitalisation qui affecte les contrats de marchés publics et qui traduit un renforcement de la transparence entre acheteurs et opérateurs.
Cependant, la transparence dans les marchés publics doit être utilisée avec mesure. Une mise en œuvre abusive pourrait ainsi conduire à des situations non seulement contraires aux objectifs initialement fixés, mais aussi en confrontation directe avec d’autres principes essentiels, et avant tout celui de la concurrence. En effet, si la transparence imbibe toutes les phases de préparation, de passation et même d’exécution des marchés publics elle doit nécessairement être cadrée et limitée afin de ne pas causer de préjudices à d’autres principes, tels que l’indispensable confidentialité des rapports entre les acheteurs et leurs prestataires. L’acheteur ne peut communiquer les informations confidentielles qu’il détient dans le cadre du marché public, tel que celles dont la divulgation violerait le secret des affaires ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques.
Il apparaît donc évident que la difficulté réside dans la détermination d’une frontière entre ce qui est confidentiel et ce qu’il ne l’est pas. Chaque acheteur public devrait donc pouvoir tracer ses lignes directrices dans un domaine particulièrement délicat. Là réside sans doute la clé de la transparence dans les marchés publics au Gabon. Il appartient aux acheteurs publics, en fonction de leur formation et de leur organisation, de déterminer le cadre et la mise en œuvre d’une telle transparence, des modalités pratiques du sourcing en amont, de la passation des marchés à la qualité des explications fournies aux candidats non retenus, en passant par la rédaction la plus claire et la plus adaptée possible au secteur économique concerné des documents de consultation des entreprises. Au-delà de la sincérité dans leurs rapports avec les opérateurs économiques, l’impératif de transparence qui s’impose à tous les acheteurs répond à une logique de métier et donc de professionnalisation des acteurs de l’achat public.
Judicaël KOU-VASSA est un jeune Gabonais résidant à Dakar (Sénégal), titulaire d’un Master 2 professionnel en Ingénierie juridique, option : Gestion et administration des Marchés publics et des partenariats public-privé de la 10e Promotion du Centre de Ressources de Dakar, Département de formation continue de L’Université Alioune DIOP de Bambey. Il est actuellement agent stagiaire à la Cellule de passation des marchés du ministère de l’Intérieur du Sénégal.
1 Commentaire
La transparence est un jouet pour les écoliers !
Théoriquement magnifique mais pratiquement impossible.
Tous les pays actuellement sont aux mains de lobbies ou de dictateur(e)s; la corruption, le copinage, la fraternité, la banque des faveurs dirigent le monde des affaires de plus en plus enclin à sombrer dans la délinquance voire le crime.
La notion de profit, celle de croissance qui se veulent exponentielles et infinies sont des monstruosités auxquelles sacrifient la quasi totalité des dirigeants et de leurs éminences grises (conseillers économiques et financiers).