De retour de Paris où il a pris part au congrès de l’Association française de sémiotique, l’enseignant-chercheur Georice Bertin Madébé revient, avec Gabonreview, sur les motivations d’une telle rencontre et sur les propositions de renouvellement de cette science vielle de plus 50 ans.

Georice Bertin Madébé, lors du congrès sur la sémiotique à Paris. © Studio Kaena

 

Gabonreview : Du 30 mai au 2 juin vous avez pris part, à Paris en France, au congrès de l’Association française de sémiotique. Pouvez-vous nous rappeler en quoi consistait cette rencontre ?

Georice Bertin Madébé : Il s’agissait, en quelque sorte, de faire le bilan de la recherche sémiotique, aujourd’hui vielle de plus de 50 ans, mais surtout, d’envisager l’avenir de cette science, à partir des présupposés l’ayant fondé dans les années 1960 sous la férule de A. J. Greimas. Il s’agissait notamment de répondre à des questions précises : «Peut-on faire la sémiotique aujourd’hui comme on la faisait par le passé ? Les développements actuels de la sémiotique n’envisagent-ils pas de positionner cette science sous d’autres perspectives ?» Autant de questions qui, au cours du congrès, ont suscité des interventions aussi riches que variées, y compris celle du Gabon que je représentais.

Avant de revenir sur votre propre intervention, quelle est, de façon générale, la représentation que l’on doit se faire de la sémiotique aujourd’hui, plus de 50 ans après son invention par A. J. Greimas ?

© Studio Kaena

La sémiotique, aujourd’hui, n’est plus qu’une science du texte. C’est une évidence que n’ont pas contestée les 120 contributeurs de ce congrès de Paris. Après être revenus sur les différentes formes classiques de la sémiotique, c’est-à-dire de la sémiotique littéraire et celle appliquée à divers champs, y compris la peinture, nous nous sommes sérieusement interrogés sur l’avenir de la sémiotique dans ses champs théoriques. Il s’est notamment agi de questionner les méthodes et les concepts proposés par A. J. Greimas. Ce qui, de mon point de vue, nous a permis d’arriver à la conclusion qu’on ne pouvait plus comprendre la structure telle que Greimas l’avait définie au début de cette science.

Qu’entendez-vous par là ?

Le raisonnement de la sémiotique en tant que science reposait essentiellement sur le point de vue de la linguistique. Or, la linguistique, c’est l’étude des langues. Et Greimas s’est fortement basé sur cette science et toutes les différentes écoles dont elle regorge. Aujourd’hui, cette approche a été remise en question, d’autant que l’idée de structure a tendance à se dessiner comme quelque chose de beaucoup plus complexe. Nombre de chercheurs, dont moi, pensons qu’il ne s’agit plus simplement, lorsqu’on parle du «signe», d’un côté signifiant et d’un côté signifié. Le signe, on l’a compris, dépasse cette binarité. Il y a des choses bien plus complexes que la langue ne peut pas prendre en compte. Parmi ces choses, je citerai les émotions, les passions… toutes ces choses qui font partie du signe. Un exemple : prenons la phrase d’une personne en colère et transcrivons-la. Le rendu ne sera pas pareil. La phrase de l’homme qui exprimait pourtant une forte émotion aura perdu dans sa matérialisation linguistique. Il s’agit donc, pour la sémiotique, d’intégrer les « patem« .

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Les travaux de Paris ont été d’autant plus importants qu’ils ont permis d’apporter un plus à la recherche, avec la proposition d’un ensemble de perceptives. L’une de celles-ci a été amenée par Bordron, qui estime que la pensée, le langage et tout ce qui contribue à véhiculer des messages est comparable à des images, identifiables par les locuteurs. Pour lui, la communication n’est possible que si les locuteurs sont capables d’identifier les images et de comprendre leur fonctionnement. En plus de Bordron, nous avons des penseurs tels que Petitot Concorda et Peer A Brent, qui ont travaillé sur le côté morphogénétique de la sémiotique, notamment sur la structure des phrases et les intentions des locuteurs.

A côté de ces différents chercheurs, il y a vous, auteur d’un certain nombre d’ouvrages sur la sémiotique. Quel a été votre apport dans cette discussion ?

(Rire) Evidemment, il y a eu une contribution de l’Afrique et du Gabon à ce débat, et ce fut la mienne ! Notre position était de dire : «Oui, nous sommes d’avis que des formes émergentes du sens soient intégrées à la sémiotique. Oui, nous sommes d’accord pour l’intégration des modalités qui recommandent les directions de sens du langage que peuvent produire les uns et les autres, mais il faut également introduire la part d’imprévisibilité dans les parcours de langage, notamment dans le contexte des nouvelles structures du sens». C’est en m’appuyant sur le caractère totalement imprévisible des Etats africains, aussi bien politique, économique que social, que j’ai estimé qu’il fallait isoler cette dynamique pour la réintroduire dans l’analyse sémiotique. Pour information, notre proposition a été retenue au terme du congrès.

Doit-on déjà s’attendre à retrouver ce nouveau champ dans vos prochaines recherches ?

Bien évidemment ! Je vous informe d’ailleurs qu’il s’agit de l’objet d’un prochain livre intitulé «Topologie et morphogenèse du sens. Recherche pour une sémiotique des formes».

Après le congrès de Paris, pensez-vous que Libreville puisse organiser une rencontre comme celle-là ?

© Studio Kaena

Oui, je le pense ! Depuis quelques années, nous nous efforçons de former des sémioticiens au Gabon. La valeur de la sémiotique réside notamment dans le fait qu’elle est une science de pratique. Elle permet de comprendre la société et de définir les règles sans lesquelles nos sociétés ne peuvent pas avancer de façon ordonnée et systémique. Actuellement à Limoges, nous comptons au moins quatre chercheurs, dont deux soutiendront leur thèse l’année prochaine. Avant eux, nous avons déjà des chercheurs à l’Université Omar Bongo et à l’Ecole normale supérieur.

Toutefois, nous estimons que la masse critique, donc le niveau et la quantité de ces chercheurs, est encore insuffisante pour pouvoir tenir un congrès du type de celui qu’on a eu à Paris. Avec des collègues rencontrés dans le cadre dudit congrès, nous avons pensé créer une association africaine, qui sera, en quelque sorte, le pendant européen de la sémiotique.

 

 
GR
 

2 Commentaires

  1. Tate dit :

    Il est inutile de faire le fanfaron sur un colloque. Imaginez que tous les enseignants-Chercheurs et Chercheurs viennent vous donner des photos sur leurs prises de parole, vous (gabonreview) auriez des masses et des tonnes. L’enjeu véritable, à mon avis, est de faire que la sémiotique soit accessible à tous et non de marmonner des concepts que personne ni le Chercheur interviewé ne saisit.
    Je comprends bien, en mal de reconnaissance et invisible à la fac (alors qu’il est du CENAREST), GBM tente de se tenir debout… Ce que l’on comprend,le pauvre. Nous attendons le prochain livre fermé et hermétique qu’il nous servira. A son grade, il devrait maintenant tenter de créer des paradigmes nouveaux et pratiques mais dans un langage simple.
    Au fait Gabonreview avait-il envoyé un correspondant sur place?

    • liza dit :

      On comprends bien votre frustration cher monsieur car vos propos le cachent mal. si vous n’avez rien d’intéressant à dire, passez-vous de tout commentaire. si il a été abordé par le journaliste, c’est qu’il suscite de l’intérêt pour certains. il ne « tente » pas de se tenir debout, mais il se tient debout. rien ne dit que « tous les enseignants-Chercheurs et Chercheurs qui viennent donner des photos sur leurs prises de parole » intéressent les journalistes.
      PS: On n’a pas besoin d’être méchant et aigri pour faire une remarque à quelqu’un.

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