Pour de nombreux observateurs, l’ordonnance qui remplace le Code de la Communication datant de l’année 2000, comporte des «armes de destruction massive» de la liberté de la presse au Gabon.

© Gabonreview/Shutterstock

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Alors que, comme l’opinion, la corporation des journalistes attendait une loi plus démocratique, plus ouverte, donc débarrassée de toutes les insuffisances et lacunes observées dans le Code de la Communication, la nouvelle ordonnance qui réglemente dorénavant l’exercice de la communication écrite, audiovisuelle et cinématographique au Gabon, en lieu et place du Code de la Communication (plus consensuelle, quoi qu’incomplète), a de quoi effrayer la corporation et toutes ses dépendances. Elle dispose en effet, en ce qui concerne les délits commis en matière de presse écrite, numérique ou audiovisuelle, que «l’éditeur de presse, l’imprimerie de presse, le distributeur, l’hébergeur ou le diffuseur sont solidairement responsables des délits commis en matière de presse écrite, numérique ou audiovisuelle» (article 204 de l’Ordonnance n°18/PR/2015 du 11 août 2015).

© iconovox.com

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Même pas pour Salman Rushdie

Du coup, les imprimeurs, le distributeur de presse écrite et l’hébergeur de presse numérique vont y regarder par deux fois avant de «se mettre dans le processus» pour l’arrivée d’un journal vers le lecteur. Comme le dit un professionnel de la communication, «c’est la loi la plus liberticide en matière de presse que le Gabon ait élaborée». Ce qui fait penser à l’affaire Salman Rushdie, auteur condamné à mort en 1989 par une fatwa de l’ayatollah Khomeiny pour avoir publié le livre Les Versets sataniques, dont les éditeurs et distributeurs ont été menacés de mort par les musulmans fanatiques, alors que selon la doctrine dans les pays dits civilisés, à l’instar de la Belgique ou de la France, l’éditeur, l’imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi et condamné comme complice que si l’auteur des écrits ne peut être atteint par la justice nationale. On n’imagine pas, en effet, les Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP), grand distributeur de la presse en France, poursuivies pour un délit commis par Charlie Hebdo, Voici, Closer ou Ici Paris. Au Gabon, craignant à la suite des sorties médiatiques du nouveau ministre de la Communication et d’un communiqué gouvernemental dans L’Union, Alain Calvy, directeur de Sogapresse, l’entreprise de distribution, a écrit au patron du journal La Loupe, brandissant le principe de précaution pour ne pas distribuer la dernière livraison de l’hebdomadaire alors que le titre n’a pas encore été inculpé, du moins n’en a reçu aucune notification.

Adoption en catimini, craintes et interrogations

Le nouveau texte «portant conditions et modalités d’exercice de la liberté la communication» au Gabon ne devrait point surprendre, tant cette loi a été prise par le gouvernement pendant l’intersession parlementaire. Le gouvernement a ainsi évité d’éventuels amendements par les députés et sénateurs. Par conséquent, le contenu de chaque journal sera désormais «vérifié» par l’imprimeur et le distributeur avant d’être mis dans le circuit de la commercialisation. «Il est à craindre que les journaux perçus comme les moins louangeurs, comme les plus critiques, ne soient plus jamais présents en kiosque, surtout que dans la tête des dirigeants de ce pays, la seule presse qui franchit la ligne jaune est celle qui se veut libre et indépendante ; celle qui leur est proche étant exempte de tout reproche», souligne un enseignant-chercheur de la Faculté des Lettres de l’Université Omar-Bongo. «Après l’Assemblée nationale monocolore, on va avoir présente en kiosque une presse uniforme», estime un ancien député PDG aujourd’hui proche du Front de l’Opposition pour l’Alternance.

«Pourquoi franchement faire une ordonnance sur la presse en pleine intersession parlementaire, si ce n’est pour cacher des desseins inavoués ? Où était l’urgence de légiférer à ce moment-là sur la liberté de la presse ?», se demande un universitaire gabonais. «Il fallait à tout prix, pour le gouvernement, éviter que des députés l’amendent, et le tour est joué», ajoute un éditeur de presse. Et un autre universitaire de souligner : «en dépénalisant les délits de presse sur l’insistance de la communauté internationale, le pouvoir reprend de l’autre main sa volonté manifeste de «frapper» les médias». Pour de nombreux responsables de journaux, «cette ordonnance est manifestement destinée à embrigader les journalistes, à réduire de manière drastique la liberté de la presse au Gabon et à faire beaucoup de mal à nos journaux libres et indépendants». Pour sa part, l’ancien Sénateur proche de l’opposition, Franck Rebella Rogombé, réagissant sur TV+ hier dans le journal de 20-heures, a laissé entendre que le pouvoir veut des organes de presse aux ordres, et que cette ordonnance ramène le Gabon vingt-cinq ans en arrière ! Stalinien, vous avez dit stalinien ?

 

 
GR
 

11 Commentaires

  1. le Miroir de la petite émergence dit :

    Où va le Gabon? Pourquoi avoir mis dans notre constitution « le pouvoir au président de légiférer en inter-session »? (donc en l’absence de nos parlementaires).

  2. Crepin dit :

    ça finira un jour, ceux qui prennent de telles décision à des fin machiavélique oublient souvent qu’ils ne sont pas éternelle. Une fois partie, les mauvais décisions sont annuler et l’histoire ne retiendra que le mal qu’ils ont fait à l’heure peuple. Aucune gloire….

  3. Anathole dit :

    Très bon papier Gabonreview. Maintenant que le problème est posé, il appartient aux communicateurs de se lever pour faire obstacle à cette censure. Télésphore Obame Ngomo est à la pointe de ce combat, il a besoin d’être soutenu par tous ses confrères. Vivement que le débat soit lancé!!!

  4. Steeve Magangan dit :

    Je constate pour le déplorer que le Gabon s’enfonce davantage dans l’abîme. Comment peut-on expliquer qu’une ordonnance ait été adoptée le 12 août alors même que le 20 elle était encore au Conseil d’Etat? Simple question, il suffit de vérifier…

  5. mon Gabon dit :

    l’exécutif et le Législatif sont animés par la même volonté de musèlement des opinions….car après tout même en cas de légifération par ordonnance le Parlement doit valider dès la rentrée Parlementaire.
    dans ce pays plus rien ne me choque!

  6. mignon mignon dit :

    Moi je trouve cela très bien parce-que la presse gabonaise était devenu un ring de boxe ou moyennant payement n’importe qui pouvait régler ses aux autres. de plus beaucoup de tribalisme étaient entretenu dans ces média sans oublié ceux la qui passaient leur temps a faire la propagande de leur groupe ethnique comme supérieur aux autres.

    • Lefilsdupauvre dit :

      Je pense que le problème majeur ne situe pas au niveau de l’absurdité de cette loi. Le problème dans notre pays c’est qu’il n’y a pas de JUSTICE.

      En effet, si la JUSTICE était indépendante et républicaine dans notre pays les journalistes, les imprimeurs et autres distributeurs de presse n’auraient pas peur d’aller devant les tribunaux pour se défendre si besoin.

      Quoi qu’il en soit, je vous invite les jours suivants à lire les journaux et en particulier ceux qui ne mâchent pas leurs mots pour voir si cette mesure est contre productive.

  7. clement dit :

    On ne vous a pas dit de ne rien écrire me de bien écrit et faire attention a se que vous écriviez on a comme l’impression que au Gabon vous avez trouvez un creno par le canal de la presse écrite sur tout pour regler les problèmes au gens Billy Billy tu est intelligent de toute les façons ne viens pas dans l’opposition un jour si non ta propre loi va te rattrapée me bravo quand même .

  8. jean -jacques dit :

    chers hommes de media garder votre mal en pateince Ali ne va pas revenir en arriere en interdisant les gens de s’exprimer. le probleme est quelle genre d’expression quels sujets, la liberte ne signifie pas insulter les gens ni manquer d respect. c’est ce qu’on remarque que les gens confondent.

    il arrive parfois q eu les internautes attaquent meme les responsables de gabonreview.

  9. Le GABONAIS VRAI dit :

    Il faut que les journalistes comme le mouvement héritage et modernité se lèvent pour défendre leur droit. s’il le faut la presse peut grever jusqu’à révision de cette ordonnance. c’est inacceptable car cela voudrait que l’hébergeur, l’imprimeur et le distributeur deviennent les véritables patrons de médias dont ils ne sont pas propriétaires. A quand la première rencontre des communicateurs ? Voila comment on enfonce le président de la République soit disant qu’on veut l’aider. Attention n’est pas derrière mais devant.

  10. SENFOUT dit :

    C’est quand même le comble de la stupidité…! Autant faire une loi qui interdise toute publication de presse. De mon point de vue, il s’agit là de loi de toutes les lâchetés: puisqu’on a du mal à bâillonner les journalistes, frappons les imprimeurs, éditeurs et autres diffuseurs, ce sera plus efficace. Il suffit désormais que le premier venu se sente diffamer par un article de presse pour envoyer en prison l’ensemble des maillons de la chaîne de production de la presse…! Le génie de la bêtise, en d’autres termes.

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