La plate-forme pétrolière Deepwater Horizon en feu dans le Golfe du Mexique en mai 2010. Que pourrait faire le Gabon si un tel accident se produisait au large de ses côtes ?

Dans le Golfe du Mexique, quelque 800 000 litres de pétrole s’échappaient chaque jour de la plateforme offshore Deepwater Horizon, exploitée par la compagnie britannique BP, suite à un accident de la plateforme le 22 avril 2010 qui avait fait onze disparus. Un tel drame serait-il possible en Afrique ?

Il y a plus de quarante ans, l’explosion d’une plate-forme pé­trolière déversa près de 13 000 tonnes de pétrole brut sur les plages de Santa Barbara, souillant une soixantaine de kilomètres de côte touristique de Californie du Sud. Ce fut un tournant dans l’expansion de l’industrie pétrolière. Il ne fut alors plus question de forer au large des côtes du pays et cela donna lieu à des dizaines de lois sur l’environnement, tant au niveau des États qu’à l’échelon fédéral. Depuis, certaines des nouvelles plates-formes flottantes peuvent forer sous l’eau à plus de 3 000 mètres de profondeur. Elles peuvent rester dans la même position pendant des semaines, tout en essuyant des vagues de 12 mètres de haut, grâce à des systèmes de positionnement par satellite et à de petites hélices situées sous la quille. A des centaines de kilomètres de là, à Houston, des ingénieurs installés dans des salles de contrôle commandent le forage en temps réel. Tout cela a contribué à faire du golfe du Mexique l’un des principaux pôles de croissance pour l’extraction pétrolière aux États-Unis. Cette zone représente un tiers de la production nationale, soit 1,7 million de barils par jour, provenant principalement des grands fonds. Cette dernière marée noire pourrait avoir d’aussi grandes répercussions sur l’action des pouvoirs publics que le naufrage de l’Exxon Valdez, en 1989, qui avait déversé 40 000 tonnes de pétrole brut dans les eaux sensibles de la baie du Prince-William, en Alaska. Après cette marée noire, les pétroliers ont dû respecter des mesures de sécurité plus strictes et le propriétaire d’une plate-forme ou d’un navire était rendu légalement responsable du nettoyage après un accident. Mais les pétroliers continuent à sillonner les océans.

Un tel désastre finira par arriver dans le Golfe de Guinée

Le delta du Niger, au Nideria, subi une marée noire permanente depuis plus de 50 ans... sans que personne ne s'en préoccupe vraiment.

Le golfe de Guinée compte beaucoup de plateformes en mer. Ses réserves en pétrole sont parmi les plus importantes du monde. Sur Radio France International, Gilles Rousselot, ingénieur géologue et expert en exploitation pétrolière confirme que, selon lui, le risque existe dans le golfe de Guinée, autant que partout ailleurs dans le monde : “Dans le Golfe de Guinée, il n’y a pas eu d’accident majeur mais des incidents, c’est fréquent.” Ainsi en 2008, au Cameroun, des tonnes de pétrole brut se sont échapées du terminal du pipe-line Tchad-Cameroun se déversant dans la mer au niveau de la plate-forme d’Ebome, une localité située à 6 km de la ville de Kribi. Alors qu’un responsable de Perenco soulignait la “non-gravité” de la situation, déclarant dès les premiers jours “La situation n’est pas grave comme on le pense, parce qu’à la construction, nous avions prévu des filtres tout autour de cette zone en prévention d’une éventuelle fuite”, Le président de l’ONG Save Nature déclarait avec raison : “Cette catastrophe est très grave d’autant plus que le brut qui se déverse dans la mer n’est pas loin des côtes. Les espèces protégées comme les tortues marines vont mourir. Sans compter une vaste partie de la faune marine. L’État doit faire quelque chose rapidement avant qu’il ne soit trop tard”. Fataliste, le président du Comité de développement du débarcadère de Mboamanga (Cddm), monsieur Bokamba, indiquait à son tour que la construction d’un site pareil ne pouvait qu’entraîner inévitablement, un jour, une fuite.

De même, selon le président directeur-général de la compagnie pétrolière Total, Christophe de Margerie, le risque zéro n’existe pas. “La plupart des nouvelles réserves, au Congo ou au Nigeria, par exemple, sont désormais développées dans le deep offshore et l’ultra deep offshore, comme la découverte qu’était en train de faire BP dans le golfe du Mexique. Par définition, le risque zéro, ça n’existe pas”, a-t-il expliqué dans une interview parue dans le magazine Jeune Afrique. Le PDG de Total a affirmé avoir discuté avec le président congolais, Denis Sassou Nguesso, de ce que sa compagnie pourrait faire pour éviter une telle catastrophe en Afrique, tout en appelant les pétroliers à prendre le devant plutôt que d’attendre qu’on leur impose un nouveau cadre de travail. “Nous allons d’abord procéder à un état des lieux et voir ensuite s’il y a des mesures spécifiques à prendre, de vieilles plates-formes à rénover. Le comité exécutif de Total a de son côté décidé de mettre en place deux task forces. L’une est chargée de vérifier comment nos forages sont opérés. L’autre doit identifier la démarche à suivre à la suite d’une pollution de ce genre”. Le président du groupe Total a estimé que le parc de la compagnie pétrolière pouvait comprendre “probablement de vieilles installations à rénover”, mais, a-t-il ajouté, “ce ne sont pas les plus dangereuses, car elles ne sont pas dans le deep offshore. Depuis longtemps, chez Total, notre première bataille est de surveiller les rejets en mer et les fuites. Il y avait trop fréquemment des flexibles en mauvais état”, a-t-il conclu.

“Nous n’avons, pour l’instant, aucun plan d’urgence sur le Golfe de Guinée, en cas d’accident pétrolier.”

Certes, on oublie souvent que les marées noires naturelles sont presque aussi importantes que celles provoquées par l’exploitation humaine. Selon un article de la revue scientifique Geo-Marine Letters de 2003, 47% du brut qui s’échappe dans la mer provient de suintements naturels, contre 53% de fuites et autres accidents durant l’extraction, le transport, le raffinage et son utilisation. Mais les marées noires provoquées par l’homme, et qui pourraient venir souiller les côtes du Gabon un jour, ne sont pas récurrentes. Elles sont brutales, massives et provoquent non seulement un désastre écologique mais également économique. Malgré les images choquantes de faune et de flore contaminées, la marée noire reste un moindre mal, de l’avis des scientifiques interrogés. “La contamination touchera les oiseaux et les crustacés, mais les poissons iront se nourrir ailleurs,” considère Georges Gorin professeur de géologie à l’Université de Genève. “Cette contamination est bien moins dangereuse que celle des métaux lourds en Europe de l’Est – avec piles et batteries dans les rivières – qui affecte toute la chaîne alimentaire.”

Le drame, si l’Afrique Centrale était touchée par une marée noire de cette importance, serait d’un autre ordre : plus de poissons comestible pour les pêcheurs artisanaux, une fuite des touristes et un sacré mauvais point pour son image de pays protecteur de l’environnement… Sans parler de l’image que produira aux yeux du monde son incapacité annoncée à nettoyer ses côtes et à sauver les espèces protégées comme les tortues Luth, les baleines à bosses ou le fragile habitat des mangroves. Samuel Nguiffo, directeur du Centre pour l’environnement et le développement, une ONG de défense de l’écologie basée au Cameroun n’hésite pas à l’affirmer : “Nous n’avons, pour l’instant, aucun plan d’urgence sur le Golfe de Guinée, en cas d’accident pétrolier.”  Des propos pessimistes confirmés par les précédentes alertes à Mayumba (7 marées noires depuis 2004), dans le Fernan Vaz en 2008 ou dans le Delta du Niger (voir encadré). Le risque est réel : de nombreuses installations sont vétustes, surtout au Nigeria et en Angola. “Quant on monte sur une plate-forme de Sonangol [la compagnie nationale angolaise, NDLR], on a l’impression d’être sur une bombe à retardement,” témoigne un spécialiste de la sécurité dans le magazine Jeune Afrique. “Il en va de même sur celles qui ont plus de quinze ans de fonctionnement, chez la plupart des majors. La rentabilité prime l’entretien, qui coûte cher. Au large, on est loin de tout contrôle, alors on s’accorde plus de libertés.”  Les probabilités qu’une telle catastrophe arrive dans le Golfe de Guinée sont très élevées. Ils serait bon, semble-t-il, de s’y préparer dès maintenant.

 
GR
 

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