Désormais fixé à 63 ans, l’âge de départ à la retraire suscite bien d’interrogations et d’étonnements, en laissant notamment penser que l’état a choisi de n’accorder le bénéfice effectif de la retraite qu’à une population de survivants. Ce d’autant plus que cet âge correspond presque à l’espérance de vie moyenne au Gabon. Le blogueur et analyste économique Mays Mouissi se penche sur la question.

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Mays Mouissi, analyste économique, spécialiste du contrôle des risques et de la sécurité financière. © D.R.

La négociation entre le gouvernement, les partenaires sociaux, les responsables de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) qui gère la caisse de retraite a abouti à la fixation de l’âge de départ à la retraite des travailleurs gabonais à 63 ans (régime général). Avec cette réforme, l’âge légal de départ en retraite est désormais aligné sur l’âge moyen de fin de vie du citoyen gabonais qui est d’environ 64 ans selon la Banque mondiale.

Au plan moral, cette réforme est contestable, car des milliers de travailleurs décèderont avant de percevoir leur retraite, notamment ceux en exercice dans les métiers considérés comme pénibles. Au plan économique, cette réforme ne règle pas le problème de fond qui met en péril le système national de retraites : la faiblesse du nombre de cotisants, c’est à dire du nombre de travailleurs en activité dans le secteur formel.

À ce jour, les départs en retraite en République gabonaise sont encadrés par le Code du travail dont l’article 2 fixe l’âge légal de départ en retraite à 60 ans pour le régime général. Certaines professions, en raison de leur caractère particulier, bénéficient cependant d’un régime dérogatoire qui leur permet de pouvoir partir en retraite dès 55 ans (c’est notamment le cas des techniciens agricoles, du BTP, des sociétés forestières, de la pêche, etc.) ou beaucoup plus tard à 65 ans (pour les professeurs d’université). cf. décret 01894/PR/MTEPS du 29 décembre 2011 réglementant les dérogations relatives à l’âge de départ à la retraite.

Aligner l’âge de départ en retraite sur l’âge de fin de vie, une faute morale

Avec l’augmentation annoncée de l’âge légal de départ en retraite, il paraît évident que les professionnels des métiers bénéficiant d’un régime dérogatoire du fait de leur pénibilité ou de la longueur de leurs cycles de formation vont également subir, eux aussi, un allongement de l’âge de départ en retraite.

En outre, l’alignement de l’âge légal de départ à la retraite sur l’âge de fin de vie moyen des Gabonais pose une question morale. En effet, fixer la retraite à 63 ans quand l’âge moyen de fin de vie au Gabon est estimé à 64 ans sans qu’un débat sociétal n’ait été ouvert au parlement, dans la classe politique et la société civile apparait curieux et laisse penser que l’état a délibérément choisi de n’accorder le bénéfice effectif de la retraite qu’à une population de survivants.

Dans les économies développées dont les pays d’Afrique francophones se sont inspirés pour construire leurs systèmes de retraite, on observe un écart minimum de 10 ans entre l’âge légal de départ en retraite et l’espérance de vie moyenne dans le pays. Ci-dessous quelques exemples.

  • France : Espérance de vie 82 ans / Retraite 62 ans / Écart 20 ans
  • Belgique : Espérance de vie 81 ans / Retraite 65 ans / Écart 16 ans
  • Tunisie : Espérance de vie 74 ans / Retraite 62 ans / Écart : 12 ans
  • Maroc : Espérance de vie 74 ans / Retraite 63 ans / Écart 10 ans

En Afrique subsaharienne, on observe au contraire que l’âge légal de départ en retraite est très souvent décorrelé de l’espérance de vie quand il n’est pas strictement inférieur à celle-ci. Quelques exemples.

  • Sénégal : Espérance de vie 67 ans / Retraite 60 ans / Écart 7 ans
  • Gabon : Espérance de vie 64 ans / Retraite 60 ans / Écart 4 ans
  • Cameroun : Espérance de vie 55 ans / Retraite 55 ans / Écart 0
  • Côte d’Ivoire : Espérance de vie 52 / Retraite 60 ans / Écart – 8 ans

Ce constat est problématique, car dans ces pays le calcul de l’espérance de vie en retraite et l’espérance de vie en retraite sans incapacité sévère donnerait un résultat anormalement bas, voire nul.

Allonger l’âge de la retraite pour équilibrer les comptes : une solution de court terme

L’allongement de la durée légale de départ en retraite pour parvenir à l’équilibre des comptes sociaux est connu pour être une solution de court terme. En pratique dans les pays d’Afrique subsaharienne, l’accroissement de l’âge de départ en retraite de 2 à 5 ans (sans aucune autre réforme structurelle) est suivi d’une embellie des comptes de la caisse de retraite pendant quelques années (généralement entre 6 et 10 ans) avant que celle-ci ne rencontre de nouveau des difficultés de financements et sollicite une nouvelle augmentation de l’âge légal de départ en retraite. Un cercle vicieux.

L’histoire récente du Gabon permet de démontrer que l’accroissement de l’âge légal de départ en retraite sans action vigoureuse sur la baisse du chômage et la création d’emplois formels ne permet pas un équilibre durable des comptes de la caisse de retraite.

En effet, en 2005 constatant l’équilibre précaire de la caisse de retraite, les responsables de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et leur ministère de tutelle avaient demandé et obtenu un allongement à 55 ans de l’âge légal de départ à la retraite. 6 ans plus tard, en 2011, la pérennité de la caisse de retraite était de nouveau menacée. Comme seule solution au déséquilibre des comptes sociaux, le gouvernement a opté pour un nouvel allongement de l’âge de départ en retraite qui est alors passé à 60 ans. À nouveau, 6 ans plus tard, en 2017, le système de retraite est présenté comme en péril. Comme par le passé, le Gabon choisit d’augmenter l’âge de départ en retraite à 63 ans. Au regard de cette évolution, il apparait que si l’accroissement de l’âge de départ en retraite est une solution viable, elle n’est ni durable ni pérenne pour le système.

Agir sur le chômage et sur le secteur informel pour un système de retraite efficient

Pour parvenir à un système de retraite efficient et durablement équilibré, il est nécessaire de créer au plan national les conditions pour que le niveau de cotisations perçues par la caisse de retraite parvienne à supporter les pensions versées aux retraités, les charges récurrentes de la caisse des retraites tout en assurant la constitution de réserves consistantes et diversifiées. Dans le cas du Gabon, il faudrait :

  • parvenir à créer massivement des emplois dans le secteur privé formel pour abonder la caisse de retraite. Actuellement le Gabon compte environ 170 000 emplois formels, dont 105 000 au sein de l’administration publique. La création de 70 000 emplois formels supplémentaires dans le secteur privé sur une période décennale permettrait d’accroitre les cotisations mensuelles perçues par la caisse de retraite de 35 à 40%.
  • Offrir le bénéfice de la retraite aux salariés du secteur informel sous réserve du paiement d’un forfait de cotisation mensuel accessible. Jusqu’alors calqué sur le modèle de retraite hérité de la colonisation, le système national de retraite doit innover et s’adapter au contexte local où l’économie informelle est prépondérante. La généralisation d’un forfait de cotisation, une stratégie de collecte efficace et des campagnes sensibilisation sur le bénéfice de souscrire à une telle action permettraient de faire rentrer progressivement les opérateurs de ce secteur dans le système.
  • Diversifier les sources de revenus de la caisse des retraites pour qu’elles ne reposent plus sur les seules cotisations salariales et patronales. Une organisation autour d’une cible  de revenus provenant à 70% des cotisations et à 30% des placements de la caisse à l’horizon 2030 parait atteignable.
  • Créer un fonds spécial de réserve alimenté par 3 à 5% des ressources issues des plus-values pétrolières et des bonis de signature engrangées par le Gabon pendant une période de 20 ans. Ce fonds permettrait à la caisse de retraite d’avoir des revenus supplémentaires pour consolider ses réserves et accélérer la diversification de ses revenus en investissant dans différents domaines de l’économie nationale et à l’international.
  • Etc.

Ces solutions couplées au taux de cotisation actuel permettraient de pérenniser le système national de retraite sans que l’âge légal de départ à la retraite ne soit à nouveau utilisé comme variable d’ajustement.

Mays Mouissi

Sources principales :

Données Banque mondiale pour l’espérance de vie

Données INSEE sur la retraite en France

Accord avec les partenaires sociaux pour la fixation à 63 ans de l’âge de la retraite au Gabon

Code du travail du Gabon

Décret 01894/PR/MTEPS du 29 décembre 2011 réglementant les dérogations relatives à l’âge de départ à la retraite.

 

 

 
GR
 

4 Commentaires

  1. Jean Gaspard Ntoutoume Ayi dit :

    D’abord bravo à Mays Mouissy, auteur de cette contribution significative sur le débat sur les retraites au Gabon.

    Ensuite merci a http://www.gabonreview.com, de permettre l’ouverture de ce débat que malheureusement le Pouvoir a voulu traiter à huis clos comme à son habitude.

    Sans revenir sur les propos de l’auteur, que pour l’essentiel je partage, il semble indispensable pour la poursuite de celui-ci que nombre d’éléments soient rajoutés.

    Il conviendrait avant tout de disposer d’un état des lieux De la situation le plus complet possible.

    Quel est le nombre de retraités dans le secteur public et dans le secteur privé?

    Que représentent actuellement les coûts de gestion de la CNSS ? Quelle est la responsabilité de cette structure dans le déficit des pensions ? Quel est son taux de recouvrement des cotisations ?

    Autant de questions qui permettront de faire la part des choses entre la part de la gestion dans le déficit de la branche vieillesse et qu’elle en est la part structurelle.

    Dans le secteur publique, la loi de finances ne permet pas de déterminer qu’elle est la cotisation de l’État employeur au financement des pensions des fonctionnaires. Une conséquences de l’insincerite structurelle du budget de l’Etat.

    Une chose est certaine, la question des pensions figure au nombre des défis qui se présentent à la société gabonaise et pour laquelle la contribution de tous les acteurs est attendue. L’expérience de 2005 montre a suffisance qu’elle ne pourra se régler sur un coin de table.

  2. albatross dit :

    Avec le management villageois et colérique actuel d’une DG orienté festivité, on n’est pas sorti de l’auberge.

  3. diogene dit :

    Tout d’abord il convient de préciser : l’espérance de vie est la durée moyenne de vie d’une population si les conditions de mortalité au jour de sa naissance sont identique durant son existence .
    Ainsi les 64 ans d’espérance vitale sont attribués aux enfants nés en 2017.
    En ce qui concerne les retraités d’aujourd’hui, ils sont nés fin des années 50, leur espérance de vie était à leur naissance inférieure à 50 ans, d’où la juste mise à la retraite à 55ans.

    Le différentiel actuel est donc : Bongoland , espérance de vie d’un retraité 55 ans âge de retraite 60 : écart -5ans.
    Les retraités d’aujourd’hui sont des rescapés.

    De plus l’âge de la retraite n’est pas un jouet pour enfant gaté qui n’a jamais rien foutu de ses dix doigts pour gagner sa vie, mais c’est la reconnaissance de la société à ceux qui ont sacrifié la majeure partie de leur vie pour le fonctionnement harmonieux de la dite société.
    Il s’agit de considérer l’humain et non le financier.
    Il est indécent de formuler une analyse sur des critères économiques.

    En revanche la gestion des fonds de retraite est une question économique.
    Pourquoi, alors que comme écrit ci dessus, les retraités potentiels meurent avant d’atteindre l’âge ouvrant accès à une pension, les caisses sont elles vides ?
    Elles devraient au contraire déborder puisque pour un retraité d’une classe d’âge au moins cent « morts avant » ont cotisé.

    Le problème vient donc de la gestion calamiteuse des bongolandais qui ont puisé, détourné, volé dans la caisse de nos retraites.

    L’esclavage salarié au lance pierre pour toute la durée de la vie voila la finalité grotesque et tragique de ceux qui nous exploitent en prétendant nous gouverner.

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