Lors de son récent passage à Libreville, le géologue et sédimentologue de l’université de Poitiers s’est fait le plaisir de partager son avis sur le mécanisme de valorisation des macro-fossiles datant de 2,1 milliards d’années, découverts en 2008, dans le bassin de Franceville, au sud-est du pays.

Le professeur franco-marocain, Abderrazak El Albani, le 22 juin 2015 à Libreville. © Gabonreview

Le professeur franco-marocain, Abderrazak El Albani, le 22 juin 2015 à Libreville. © Gabonreview

 

Gabonreiew : Vous vous êtes fait remarquer par une découverte, il y a sept ans. Selon vous, les origines de la vie multicellulaire et macroscopique dateraient de 2,1 milliards d’années, soit 1,5 milliard d’années plus tôt que les estimations actuelles. Qu’elle est l’intérêt d’une telle trouvaille pour la recherche gabonaise ?

Abderrazak El Albani : Ce projet qui dure depuis quelques années, a un intérêt pour la recherche gabonaise. Parce qu’à travers ce projet, on forme énormément d’étudiants gabonais, notamment en master et en doctorat, dont certains ont déjà fini leur thèse et sont enseignants ou chercheurs. Cela intéresse également la recherche internationale mondiale. Elle permet de réfléchir sur une période très intéressante de l’histoire de notre planète et de l’histoire de la vie. Certes, c’est le Gabon qui est dans la partie centrale de ce projet, mais croyez-moi cela dépasse largement les frontières du Gabon, parce que ça intéresse le monde entier. Cela est très bien parce que c’est un rayonnement pour le Gabon et, d’une manière ou d’une autre, pour la recherche gabonaise. Nous ne sommes que des «ouvriers de la recherche». Ce qui est intéressant et d’arriver à valoriser ce travail-là. Venir présenter, comme je le fais chaque année ici, les résultats et les nouveautés, c’est vraiment extraordinaire.

Les Gabonionta, les fossiles les plus anciens de l’histoire. © diepresse.com

Les Gabonionta, les fossiles les plus anciens de l’histoire. © diepresse.com

Comment peut-on apprécier l’apport de cette découverte sur l’évolution de la vie humaine ?

La recherche est quelque chose qui est parfois quantifiable quand on travaille sur des sujets tels qu’Ebola, le paludisme… on essaye de trouver des vaccins. Juste cet exemple-là, mais il y en plusieurs d’autres. Mais il y a aussi la recherche fondamentale. Ce sont des gens qui réfléchissent et qui arrivent à un résultat, qui, comme dans notre cas, permet de dire que la vie a émergé beaucoup plus tôt qu’il y 1,5 milliard d’années. Et donc ça va changer pas mal de chose par rapport à l’histoire de la vie, et à celle de l’évolution. Et les biologistes, les généticiens, tous ces gens-là, ils ont besoin de comprendre comment les choses se sont comportées au cours des temps. Un intérêt direct, matériel ? Non, sinon ce ne sera pas une recherche fondamentale. Mais la recherche fondamentale est très importante pour que la «recherche» puisse aller plus loin car les deux sont complémentaires. Une recherche fondamentale n’apporte pas une réponse immédiate directe, mais elle apporte les fondamentaux pour que la recherche appliquée puisse avancer.

Comme le soulignent plusieurs revues scientifiques, notamment les revues américaines, à savoir : la découverte révolutionne toutes les «connaissances sur les origines de la vie». Si tel est le cas, quelles seront les conséquences d’un tel bouleversement ?

Je pense que les conséquences doivent être de deux types. D’abord scientifiques. Parce qu’il faut qu’elle aille le plus loin possible dans l’exploration de ce biota-là pour qu’on puisse valider des choses, répondre à pas mal de questions qui restent ouvertes etc. Il faut d’abord penser à cela, comment faire la valorisation scientifique de cette recherche. Après, au niveau rayonnement pour le Gabon, c’est extrêmement important de savoir que c’est seulement au Gabon et rien qu’au Gabon qu’on a des formations géologiques de cet âge-là, les mieux conservées au monde. Je pense que ça intéressera beaucoup des gens qui pourront dire : «Là il y a quelque chose à faire !» Et, si dans 10 ans on décide de mettre quelque chose en place, un parcours, géologique ou touristique, il est évident que les gens viendront. Mais ça, ce n’est pas pour tout de suite. C’est ce que je dis à chaque fois. Parce que si on grille les étapes et on met la charrue avant les bœufs, là on risque de tout cramer et ça ce n’est pas bon. Il faut prendre du temps.

Et lorsque vous parlez du temps, vous l’estimez à combien d’années ?

Pour pouvoir valoriser tout cela, moi je pense qu’il faut se laisser une dizaine d’années. Il ne faut pas être pressé. Prenons un exemple très basique : quelqu’un qui construit une maison, s’il arrive avec un million de francs dans sa poche, il dit : «Je veux faire une maison», il fera à peine la fondation et après il déclarera qu’il n’a plus rien et hop. Du coup, il est allé trop vite. Il faut prendre le temps d’explorer et d’avoir les moyens pour le faire. Une fois, on là on se lance. C’est comme un budget, la gestion dans le temps de la recherche et la valorisation de la recherche. Une fois on l’a valorisé avec des articles et qu’on a une bonne productivité scientifique qui valide ça, c’est bon. Il faut qu’on se le dise : pour valider cette découverte, il faut plusieurs années de recherche. Prenons le temps de le faire, n’allons pas dans la précipitation, donnons-nous une dizaine d’années. Et ne pas aller plus vite que la musique sinon on risque de tout cramer et vite.

 

 
GR
 

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