Des ministres ou des hauts fonctionnaires qui créent des entreprises figuratives afin d’intercepter les marchés de l’Etat ; des agents de l’administration financière, douanière ou policière qui créent des entreprises de façade pour brouiller les pistes quant à leur enrichissement illicite… la concurrence pure et parfaite est une chimère au Gabon. C’est l’autre manière de massacrer les entrepreneurs pur-sang, les vrais hommes d’affaires et opérateurs économiques méritants. L’émergence à la gabonaise fonctionne, elle fait des bonds de géant… en arrière.

Des fonctionnaires (Police, Douanes, Impôts, haute administration) en guerre larvée contre les PME méritantes. © Gabonreview

 

Vol Ethiopian Airlines, Dubaï-Libreville. L’avion n’est pas rempli, comme il y a moins d’une décennie, de commerçants ouest-africains, de businessmen et affairistes Libanais ou d’entrepreneurs gabonais et de quelques autres nationalités. L’essentiel des passagers descendant à Libreville n’est composé que de policiers du Cedoc (Direction générale de la documentation et de l’immigration – DGDI), de douaniers gabonais et d’agents de la Direction générale des impôts du Gabon. La plupart d’entre eux ne sont même pas contrôlés par la Police de l’air et des frontières (PAF), trolleys et autres bagages peuvent tout contenir, il n’y a rien à craindre. Ainsi va désormais le Gabon : les fonctionnaires véreux ont remplacé les hommes d’affaires, transformant les frontières aériennes du pays en passoires et entravant les vrais hommes d’affaires.

Douaniers et percepteurs corrompus

C’est pourtant cette catégorie d’agents de l’Etat qui iront contrôler les commerçants, aussi bien pour le recouvrement musclé des recettes fiscales et douanières, avec des actions du type «Aigle Douanes» ou avec la vérification des cartes de séjour. Des opérations donnant d’ailleurs lieu, encore et toujours, au trafic d’influence, à la corruption et à l’enrichissement illicite. S’il a été reproché au ministre de la Justice d’avoir taxé les magistrats de corrompus, la même épithète peut s’appliquer à de nombreux fonctionnaires, surtout du Cedoc, des douanes, des impôts, mais aussi à de nombreux hauts fonctionnaires de bien d’autres départements de l’administration publique.

Il ne s’agit pourtant pas d’un épiphénomène. Ce qui précède traduit deux réalités bien déplorables : d’une part, la fausse montée en puissance des fonctionnaires affairistes, faisant une concurrence déloyale aux vrais opérateurs économiques et, d’autre part, la captation des marchés publics par des agents publics, au détriment des PME-PMI et des vrais hommes d’affaires. C’est un secret de Polichinelle : des ministres, des hauts fonctionnaires créent des entreprises ayant pour promoteurs parents, amis et connaissances tandis que des fonctionnaires véreux se lancent dans du business de façade, faisant une concurrence déloyale aux entrepreneurs de vocation.

Asphyxie des vraies PME-PMI

Ainsi, des entreprises attaché-cases, créées de toutes pièces par des fonctionnaires n’ayant ni expertise ni, dans leurs cercles, des techniciens dûment qualifiés dans les domaines visés, raflent en amont tous les marchés pouvant revenir à des privés (réfection ou construction de bâtiments, fourniture de services ou d’équipement, etc.). En cas d’appel d’offres, de perfides entourloupettes et traquenards sont créés pour empêcher aux entreprises ayant un savoir-faire pourtant éprouvé d’obtenir le marché. Résultat : des travaux très souvent bâclés, des objectifs ratés et, surtout, de vraies entreprises n’ayant plus rien à se mettre sous la dent, donc ne pouvant plus travailler et contraintes à la faillite. En raflant tout en amont, avec leurs sociétés écrans, les fonctionnaires et leurs patrons sèvrent ainsi les vraies PME-PMI des marchés de l’Etat, les poussant au licenciement de leurs personnels, sinon à la mort. Beaucoup plus qu’auparavant, sous Omar Bongo, le Gabon nage résolument dans le trafic d’influence, l’ingérence dans les affaires et la prise illégale d’intérêt

Et pourtant, à bien lire le «Recueil des textes législatifs et règlementaires en matière de fonction publique» (2013), l’article 66 de la Loi n°1/2005 du 4 février 2005 portant statut général de la Fonction Publique (Titre III portant dispositions communes aux agents publics ; chapitre 4 : des incompatibilités), «Il est interdit à l’agent public : – d’avoir, par lui même ou par personne interposée, des intérêts ou d’être employé dans des opérations ou entreprises dans lesquelles il a assuré une intervention ou un contrôle, pendant une période de cinq ans ; – d’avoir une participation directe ou indirecte dans un organisme sous contrôle de l’Etat ou ayant des relations commerciales avec celui-ci, ou qui peut engendrer un conflit d’intérêt entre intérêt personnel de l’agent public et les devoirs de ses fonctions (…) Sous réserve de poursuites pénales, l’inobservation des dispositions du présent article expose l’agent public défaillant à des sanctions disciplinaires.» Les ministres et hauts fonctionnaires n’en ont cure, puisqu’ils suscitent eux mêmes ces entreprises de siphonage des deniers publics et de destruction du tissu national des PME-PMI.

Lalala – Mont-Bouët

Lorsque les marchés publics ne sont pas interceptés par les entreprises bidons crées par les ripoux des ministères, les PME-PMI subissent la concurrence d’un nouveau genre de promoteurs d’entreprise ; surtout dans le bâtiment, les matériaux de construction, l’import-export informel, le textile, l’électronique, la vente de matériel informatique, smartphones, tablettes, etc.

S’il n’y a aucun mal à cela, la journée continue ayant été instituée pour favoriser la création d’activités subsidiaires, l’on s’étonne tout de même que seuls les agents des mêmes administrations (police, douanes, impôts) ont les capitaux pour voyager et faire des affaires. L’explication : ces administrations figurent parmi les plus corrompues ou les plus propices à la prévarication

Si la DGDI est connue pour engranger beaucoup d’argent tout en n’ayant ni compte bancaire ni agence du Trésor en sein, on imagine bien que l’argent qu’il amasse, principalement destiné à la présidence de la République, peut être subtilisé par des agents véreux ; tout comme certains de ses agents peuvent chèrement monnayer l’obtention de certaines prestations de cette administration (carte de séjour, visa d’entrée ou de sortie, passeport, etc.). On comprend donc aisément pourquoi la ligne Libreville-Dubaï est devenue, pour certains d’entre eux, similaire au trajet Lalala – Mont-Bouët. On ne s’étendra pas sur la corruption en milieu douanier, tant la chose en preuve abonde : après avoir lui-même mené une campagne de sensibilisation anti-corruption en direction de ses collaborateurs, Alain Ossamy Djoubi, DG des douanes, a été interpellé par la Direction générale de la recherche (DGR), en février 2017, et dans la foulée, son collaborateur Jean Bertrand Ngalibika a été pris en flagrant délit, lors d’une transaction avec EGCA Satram : 100 millions de francs CFA en espèces ayant été subtilisés par ce colonel.

Les impôts, le Trésor public ne sont pas en reste. En janvier 2017, des directeurs généraux de l’administration financière (Impôts, Trésor et finances publiques) ont été interrogés par la DGR sur fond de corruption et de détournement de l’argent public.

Entrave au développement des PME-PMI de vocation

Le tissu national des PME-PMI ne saurait s’épaissir si les entrepreneurs sont avant tout des fonctionnaires ne consacrant pas l’entièreté de leur temps de travail au développement de leurs entreprises parce qu’ils comptent, avant tout, sur l’argent volé dans les caisses de l’Etat. L’économie gabonaise ne saurait se développer si les entreprises ne sont que des activités secondaires servant à justifier l’enrichissement des sangsues de l’Etat. Sans doute ces fonctionnaires devraient-ils démissionner pour se consacrer au développement des entreprises qu’ils créent du fait de leurs seules positions dans l’administration publique. La durée de vie de ces entreprises prédatrices est d’ailleurs concomitante à la durée de leurs promoteurs aux postes d’affectation «juteux».

Tant que les vrais entrepreneurs et hommes d’affaires du Gabon seront court-circuités par ceux qui sont censés attribuer les marchés ou concurrencés par ceux qui ne cherchent qu’à justifier le train de vie et la fortune acquise au détriment de l’Etat, le pays n’ira nulle part. Et, tous les discours politiques prêchant la promotion des PME-PMI et le développement du pays ne seront que de la tartuferie.

 
GR
 

8 Commentaires

  1. Bibouboua dit :

    Très bon article. Voici de douloureuses révélations pour notre pauvre pays. Enfin j’allais dire: notre pays si riche et si beau, mais que nous appauvrissons nous-mêmes sans vergogne. Le salut ne viendra sûrement pas de l’extérieur, ni des autres, mais de nous-mêmes encore.

  2. Tarek dit :

    C’est réel, car cela est grave… Nous autres nous nous battrons pour un idéal. Étant entrepreneur c’est difficile. Car le vrai sont rejeté et les médiocres ont de marché

  3. h16 dit :

    C’est bien ce qu’il me semble, de la pure tartuferie. Comment il se fait qu’après plus de 50 ans d’indépendance ce soit toujours les étrangers qui tiennent notre économie.

    C’est bien beau de pouvoir créer une entreprise en 48 heures. Mais nombreux d’entre nous avons besoin surtout de financement, il faut résuscité le FODEX et tout ceux qui voudrons jouer avec l’argent emprunté iront direct à sans famille

    Un chinois en chine consomme chinois, un francais en france consomme francais, un libanais au liban consomme libanais. Commençons nous aussi à consommer gabonais alors on n’aura fait un grand pas.

  4. Pog dit :

    Faites un article sur le marché des logiciels. Vous verrez le sous équipement d’un secteur prometteur à cause de la soupçonnite et du black out des DSI qui se replient sur eux mm pour se servir …

  5. Shaka Loubedi dit :

    Tant que l’expression du people ne sera pas respectée on ne sortira pas de ces maux. Celui qui a squate la presidence n’est pas lui-meme etranger aux maux qui sont denounces ici. Il est lui meme en conflit d’interet sur plusieurs dossiers. Donc vous comprenez bien qu’on ne peut advancer.

  6. diogene dit :

    Le système d’Omar se porte bien… Il n’y a que les réseaux sociaux et les nouvelles technologies qui ne laissent les truands en paix et oblige le pouvoir, pourtant source et raison de ces trafics, donner le change en mettant de temps à autre un gourmand à l’ombre.

  7. beka dit :

    Voici un article qui dit tout sur l’un des maux qui minent notre économie et qui a des répercussions très négatives au-delà de ce qu’on pense. Car, en effet, cet article nous dit clairement que le ver est dans le fruit. Depuis Léon Mba, je crois, la législation gabonaise, fondée sur la législation française, a toujours interdit aux agents de l’Etat de mener des activités lucratives, pour la simple raison qu’un agent placé dans cette situation, éprouvera d’énormes difficultés à exercer la neutralité de l’Etat, car il privilégiera ses propres intérêts au détriment de ceux de la communauté. Etant juge et partie, il se placera dans un contexte de conflit d’intérêts. Dans d’autres pays, un tel comportement est lourdement sanctionné. En France par exemple, des ministres ont effectué de longs séjours derrière les barreaux. Au Gabon, il est assez curieux de constater que le législateur s’est bien gardé de délibérer sur ce simple sujet, et ne parlons même pas du « délit d’initié ». Tout simplement, sans doute, parce que la majorité des fonctionnaires exerçant une certaine influence dans les dossiers des finances, à travers les administrations publiques, se sont constitués des sources d’intérêt dans leurs services. La Justice gabonaise, pour faire la démonstration de son existence et de son impartialité, devrait effectuer quelques incursions dans ce domaine en plein délitement, qui contribue désormais à éloigner un peu plus encore, les investisseurs étrangers. Le problème soulevé ici par Tokyo Yabangoye est très grave. Il s’agit d’une question de gouvernance et de justice sociale qui n’autorise plus de croire en l’existence d’une économie neutre et impartiale au Gabon, des critères qui œuvrent, sous d’autres cieux, à faire le rappel des investisseurs. Il n’est pas étonnant qu’aucun investisseur crédible ne soit plus tenté de mettre un seul kopeck dans notre économie, d’autant que des prédécesseurs, comme Senturo par exemple, se débattent dans des affaires honteuses, qui les opposent à l’Etat. Devant les cameras, ABO a indiqué avoir payé sa dette aux PME gabonaises. A lire cet article de GR, cette somme est retournée dans les poches des fonctionnaires chargés du circuit des dépenses de l’Etat. Où va finalement le Gabon ? Pourquoi se délite le sens de la justice et de l’équité sociale, pour quels résultats ?

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