Cinq jours après le discours à la Nation du président de la République, au cours duquel il a notamment promis créer 10 000 emplois par an, Mays Mouissi s’est montré dubitatif sur l’atteinte de cet horizon dans le contexte actuel. Pour l’analyste économique : «Ali Bongo n’y arrivera pas». Ci-après, l’intégralité de sa démonstration.

Ali Bongo Ondimba promet création d’au moins 10.000 emplois par an et pour les jeunes. © D.R

 

Mays Mouissi, analyste économique, banquier et bloggeur. © mays-mouissi.com

Le 31 décembre, à l’occasion de son traditionnel discours de vœux à la nation, le président gabonais Ali Bongo a fait une série de promesses. Parmi les plus emblématiques, la promesse de créer 10 000 emplois nouveaux par an pour résorber le chômage dont il a indiqué qu’il était désormais sa « priorité absolue ». Pour donner corps à cet engagement, Ali Bongo a décidé de procéder sans délai à des exonérations totales ou partielles des charges sociales au bénéfice des employeurs.

Si l’allègement des charges peut avoir un effet positif sur les créations d’emplois, il est cependant peu probable que le gouvernement gabonais parvienne à créer 10 000 emplois nets par an en raison de la corrélation entre emplois et croissance d’une part, de l’écosystème nécessaire à la réalisation de cette promesse qui est aujourd’hui absent et de la structure de l’économie du Gabon dont le secteur pétrolier peut avoir, selon le contexte du marché, un effet moteur ou déflateur pour l’économie.

Rappel historique

Présentée comme la principale annonce du discours à la nation d’Ali Bongo, la promesse de créer 10 000 emplois par an n’a en réalité rien de nouveau puisqu’elle était déjà contenue dans le Plan de relance de l’économie (PRE). En effet, le chapitre 2 du PRE, prévoit la création de 30 000 emplois entre 2017 et 2019[1], soit 10 000 emplois par an sur la période. Ainsi, cet engagement était déjà valable pour l’année 2017 qui vient de s’achever sans pour autant que le gouvernement ne soit parvenu à créer 2 000 emplois nets (moins de 20% de réalisation sur l’année 2017).

Par ailleurs, l’engagement de créer 10 000 emplois par an, aussi ambitieux qu’il puisse paraitre, est en réalité une révision à la baisse des engagements pris par le président gabonais devant la nation en matière de création d’emplois. En effet, la promesse initiale en la matière était de créer 20 000 emplois par an. Ali Bongo l’avait réaffirmé dans un discours solennel prononcé le 11 février 2016 à la zone économique spéciale de Nkok, dans la moyenne banlieue de Libreville. Cette promesse oubliée n’a jamais été réalisée à plus de 10% depuis son annonce.

Ainsi, l’exécutif gabonais multiplie-t-il les annonces en matière de création d’emplois sans pour autant parvenir à les traduire en actes concrets fragilisant, de fait, la parole publique. Ces échecs à répétition pointent un problème de méthode, de stratégie économique et d’efficacité opérationnelle.

L’emploi : des chiffres, des annonces et des échecs

Si l’on se base strictement sur les chiffres de l’emploi tels que déclinés dans le Tableau de bord de l’économie gabonaise (édition 2017), à fin 2016 le Gabon comptait 199 374 emplois, dont 108 150 dans le secteur public et 91 224 dans le secteur privé. Le secteur public demeure donc le principal employeur du pays.

Nombre d’emplois au Gabon entre 2014 et 2016 / Croissance économique

Au cours des 3 dernières années pour lesquelles les statistiques de l’emploi au Gabon sont connues, le gouvernement n’est parvenu à créer que 653 emplois en 2015 avec une croissance économique de 3,3% et a même assisté à la destruction de 517 emplois quand la croissance est passée à 2,3% en 2016. Selon le FMI, la croissance économique au Gabon en 2017 n’a été que 0,8% et le gouvernement espère qu’elle sera autour de 3% en 2018. Dans ce contexte, comment le gouvernement parviendrait-il à créer 10 000 emplois avec une croissance espérée de 3% quand il n’en a créé que 653 avec une croissance similaire en 2015 ?

Une analyse fine des données de l’emploi au Gabon permet de constater qu’entre 2014 et 2016, les emplois se sont principalement créés dans le secteur public. Ainsi 897 emplois ont été créés dans l’administration publique (+1%) en 2016 alors que le secteur privé détruisait 1 414 emplois la même année (-1,3%).

Nombre d’emplois dans le secteur privé et le secteur public entre 2014 et 2016

Or, pour faire face à la baisse des ressources publiques, le gouvernement gabonais a choisi d’appliquer un plan d’austérité dont l’une des mesures est le gel des embauches dans l’administration publique hors secteurs prioritaires (éducation et santé). En conséquence, l’hypothèse d’une création de 10 000 emplois nets au niveau national en 2018 reviendrait faire porter les créations des emplois annoncés quasi exclusivement au secteur privé dont une partie structurante est complètement sinistrée par la crise (notamment le secteur primaire et la sous-traitance pétrolière).

En outre, les mesures d’accompagnement annoncées pour favoriser les créations d’emplois comme l’exonération des charges sociales n’ont qu’un effet de levier limité sur les principaux secteurs qui structurent l’économie du Gabon. C’est particulièrement vrai dans le secteur primaire où la véritable variable d’ajustement des emplois est le prix des matières premières à l’international. Si les cours du pétrole et/ou du manganèse sont bas, ni les compagnies pétrolières ni les compagnies minières n’embaucheront massivement même avec les exonérations les plus généreuses. Elles ne pourraient pas non plus irradier de commandes la sous-traitance qui peut être génératrice de milliers d’emplois en période de croissance.

L’un des secteurs sur lequel le gouvernement pourrait compter pour parvenir à ses objectifs de création d’emplois est le secteur agricole. Dans ce secteur, l’exonération des charges sociales pourrait avoir un impact sensible sur les politiques de recrutement des grands agriculteurs désireux d’accroitre leurs productions. Au cours du premier quinquennat d’Ali Bongo, la pro-activité et la multiplication des investissements du groupe OLAM en a fait le premier employeur privé du Gabon. Ce groupe, devenu omniprésent (risque de concentration), compte environ 8 000 salariés à travers le Gabon. Cependant, il est peu probable qu’OLAM crée des milliers d’emplois dans ses plantations de palmiers à huile et d’hévéa en 2018 tant le rythme de recrutement a été soutenu au cours des années précédentes et les principaux projets d’OLAM qui étaient en phase de lancement ont atteint leur maturité et disposent d’un niveau d’effectifs suffisants pour être pleinement opérationnels.

Pour créer massivement de l’emploi, reste donc le programme GRAINE. Celui-ci va être relancé grâce à un financement extérieur de 64 milliards FCFA[2]. Cependant, les résultats décevants de ce programme laissent perplexe. En effet, lors du lancement du programme GRAINE en 2014, Ali Bongo en avait défini les objectifs : créer entre 15 000 et 20 000 emplois, mettre en exploitation 200 000 hectares en 5 ans, tracer 3000 km de pistes d’accès aux plantations, autonomiser 30 000 familles grâce aux coopératives impliquées dans le projet. 4 ans plus tard, aucun de ces objectifs n’a été atteint. 

Quelles solutions pour parvenir à réduire le chômage ?

Pour parvenir à la création de 10 000 emplois par an pendant 3 ans, les théoriciens du Plan de relance de l’économie (PRE), pourtant particulièrement optimistes, avaient corrélé cet objectif à la réalisation de 3 autres objectifs, sans lesquels il serait, de fait, inatteignable :

  • ramener le taux de croissance du PIB au niveau cible de 5% d’ici à 2019 ;
  • renouer avec un solde positif de la balance des paiements ;
  • renforcer durablement la compétitivité des filières moteur de croissance, dans le cadre d’une relation partenariale inédite entre le secteur privé et le secteur public.

Au 31 décembre 2017, aucun des objectifs ci-dessus, qui concourent pourtant à la création d’emplois n’a été atteint par le gouvernement. Ils ne seront sans doute pas atteints en 2018 non plus puisque selon les projections du gouvernement gabonais la croissance sera inférieure à 5% (environ 3%) et le solde de la balance des paiements demeurera négatif. Quant au renforcement de la compétitivité des filières moteur de croissance, il va falloir aller bien au-delà des seules exonérations des charges sociales.

En effet, la création massive et durable des emplois au Gabon passe par la mise en place d’un écosystème assaini, entrainé par une croissance comprise entre 7 et 10% dont plus de la moitié proviendrait des activités non pétrolières et qui serait expurgé des lourdeurs administratives qui caractérisent le fonctionnement de l’Etat gabonais aujourd’hui.

Il faudrait par ailleurs, rétablir la confiance des nationaux dans leurs dirigeants et des investisseurs dans le Gabon. Comment y parvenir, sans solder le passif lié aux dernières élections qui empoisonne la vie de la nation et qui bloque le fonctionnement du pays à bien des égards ?

Dans ses politiques publiques, le gouvernement gabonais communique beaucoup sur l’attraction des investissements directs étrangers (IDE), souvent au détriment de l’investissement des nationaux qui méritent pourtant d’être stimulé. Les nationaux désireux de créer ou de développer leur entreprise manquent d’accompagnement et de financements (les banques gabonaises étant particulièrement prudentes). Ils sont, par ailleurs, confrontés aux lourdeurs récurrentes de l’administration gabonaise si peu agile, si peu informatisée, si peu dématérialisée. Dans une économie vertueuse, les emplois privés sont majoritairement créés par les nationaux. L’Etat doit donc encourager, accompagner, faciliter et financer les initiatives entrepreneuriales nationales. Un fonds dédié au financement des entreprises nationales, rigoureusement géré, est devenu indispensable, tout comme le renforcement de l’Agence nationale de promotion des investissements (ANPI) qui doit être en capacité d’accompagner les initiatives des gabonais dans toutes les provinces ainsi que celles des gabonais de la diaspora.

La réduction du chômage passe également par la diversification de l’offre de formation. En effet, en 2011, plus de 81% des formations dans l’enseignement supérieur au Gabon étaient des formations dites générales (41% en lettres et sciences humaines, 22% en droit et sciences économiques, 11% en écoles normales et 7% en sciences de gestion)[3] alors que l’économie du Gabon se structure progressivement en économie semi-industrielle et de services. L’offre de formation ne répond pas aux besoins du marché, favorisant ainsi le chômage des diplômés. Il est donc indispensable de faire évoluer le système éducatif gabonais et de l’adapter aux évolutions du monde moderne. Pour relever ce défi, le gouvernement doit massivement investir dans l’éducation nationale et l’enseignement supérieur gabonais pour en faire des références continentales. Il est indispensable d’améliorer la qualité des formations, de densifier l’offre et les structures de formation, de généraliser l’alternance dans l’enseignement technique et professionnel pour rendre opérationnels les jeunes diplômés sur le marché du travail. Par ailleurs, il faut faire participer les entreprises à la définition des types de formations qui correspondent aux besoins du marché local.

Structure de l’offre d’éducation dans l’enseignement supérieur au Gabon en 2011

Enfin, la création massive des emplois au Gabon ne peut être effective en l’absence de relance de la commande publique qui fait vivre de nombreuses entreprises dans le bâtiment et dans les services. Pour parvenir à accroitre l’investissement public dans un contexte de baisse substantielle des ressources budgétaires, l’État n’a d’autre choix que de réduire véritablement son train de vie en allégeant considérablement ses dépenses de fonctionnement, en réalisant des économies de toutes natures sur les dépenses de biens et services, en réduisant la taille du gouvernement et des chambres parlementaires, en regroupant certaines institutions et en supprimant d’autres, en optimisant l’administration, etc.

De fait, pour parvenir à créer 10 000 emplois, il faut bien plus que des discours incantatoires, mais une stratégie économique ciblée qui tienne compte des spécificités de l’économie nationale, de la nature de sa croissance, si peu inclusive, du caractère structurant du secteur pétrolier sur les autres secteurs d’activités, etc. Se limiter à des actions isolées (comme la seule réduction des charges sociales) serait une erreur qui entrainera un nouvel échec des politiques nationales de l’emploi. L’État se doit d’apporter des solutions d’ensemble au problème global qu’est celui du chômage.

Mays Mouissi

 

Sources principales :

  • Plan de relance de l’économie 2017 -2019 – Gabon
  • Données Banque mondiale sur la croissance / FMI – World Economic Outlook Database
  • Tableau de bord de l’économie – Situation 2016, perspectives 2017-2018, Ministère gabonais de l’Économie

 

Ali Bongo Ondimba promet création d’au moins 10.000 emplois par an et pour les jeunes. © D.R

[1] Plan de relance de l’économie du Gabon 2017 – 2019 – Chapitre 2, page 19

[2] La Banque africaine de développement (BAD) a accordé un prêt 98,54 millions d’euros (64,6 milliards de francs CFA) en novembre 2017 à la SOTRADER, la société qui met en œuvre le programme GRAINE

[3] Cf. Rapport sur la croissance et l’emploi en République gabonaise – Créer les conditions d’une croissance inclusive. Banque mondiale (2013)

 
GR
 

16 Commentaires

  1. Shaka Loubedi dit :

    Merci Mays. Toutefois, je crains qu’Ali et sa bande n’aient rien compris de toute cette analyse.

  2. Bouzoss L'étudiant Gabonais dit :

    Mays Mouissi, encore et toujours.

    Il nous rend vraiment fier ce Monsieur avec ses analyses toujours pertinentes sur l’économie du Gabon.

    Quelqu’un se lève un matin et annonce qu’il va créer 10 000 emplois comme si cela se décrétait. Oui les gabonais veulent des emplois mais que faites-vous pour leur en donner ? Rien.

    Voilà M. Mouissi vous fait des propositions pour réduire le chômage dans le pays. C’est gratuit. Prenez et essayez même d’en faire quelque chose. Rien.

    Eh Gabon, pitié.

  3. Bruno Mombo dit :

    Excellente analyse, tout simplement bravo.

  4. KIEM dit :

    Cher Mays, il le fera,comme l’a fait son père adoptif il y a quelques années en embauchant un millier d’enseignants du primaire, une de mes cousines, niveau CM2 faisait partie des « élus » de cette promotion, et on comprend mieux le bas niveau de ces pauvres gosses. Les leurs sont à l’étranger, cependant ces derniers ont un niveau égal à celui des enfants des mapanes qui sont restés au pays. Pour eux ce sont les chiffres qui comptent, et non la compétence des personnes.

  5. MEYE dit :

    KIEM. Leurs enfants sont à l’étranger, et ils font quoi ? Rien n’apprennent pas. Ils font de la bamboula avec l’argent que leur parent leur envoie. Tu as vu l’enfant qui rentrer au Gabon avec un diplôme probant ? Aucun à ma connaissance. Ils achètent tous avec l’argent.
    Laisse cette affaire que leurs enfants apprennent à l’étranger, ils ne font pas la fierté du Gabon dans les écoles et universités qu’ils sont.
    Les meilleurs sont nos enfants qui apprennent ici dans des conditions difficiles. Et les enfants que nous mêmes nous envoyons à l’étranger avec la sueur de notre front. Eux ils apprennent bien et obtiennent de bons résultats, car nous les suivons au jour le jour. Et se sont eux qui font la fierté du Gabon. Les voilà ingénieurs, Médecins et autres dans des grands groupes en Europe, Asie, Amérique.

  6. Mankwel dit :

    Très bonne et belle analyse comme toujours de M. MOUISSI : exhaustive, chiffrée, précise.
    CQFD de ce que l’on pense tous(?) de cette annonce du Pdt du 31/12 : de la démagogie pure pour masquer la mauvaise gouvernance du régime actuel qui n’a pas la capacité à développer le pays car il ne maîtrise pas les bases nécessaires au décollage économique véritable du pays.

  7. Milangmissi dit :

    Dans un pays normal, le gouvernement s’empresserait de répondre en expliquant sa stratégie à ce compatriote. Mais bon au Gabon Bilie bi Nze ou Enongoue vous dirons que Mays Mouissi est un imposteur en plus c’est un chômeur débat clos.
    “Instruire un imbécile, autant soigner un mort.” proverbe russe

  8. Killbill dit :

    Analyse très pertinente. Vous faites preuve d’une grande clarté d’esprit et vous maîtrisez la méthode. Vous gagneriez à être davantage connu, ce que je vous souhaite de tout coeur. Mes amitiés.

  9. beka dit :

    J’ose croire que l’émergent en chef a pris bonne note de cette argumentation et demandera des comptes, désormais, à ceux qui écrivent ses discours en y insérant des idées totalement saugrenues et irréalistes. Le Gabon n’est pas géré comme un pays normal. Comme nous, Mouiss pensait que nos dirigeants sont des super gestionnaires. Malheureusement, eux-mêmes s’obstinent chaque jour à nous faire la démonstration du contraire. Nous édifiant sur leurs intentions réelles et perfides. Ce qui veut dire que l’hymne national demande encore à être mieux lu.

  10. Thierry Mandza dit :

    Cette analyse doit inspirer ces dirigeant. Et je pense que sans honte,devraient tout simplement l’appliquer, avec un taux de croissance de 0,8% et espérer qu’elle va croître á 3% en cours d’annee 2018, que pouvez réaliser, alors il faut mettre en place une stratégie. Et merci M. Mouissi pour votre expertise, que Dieu vous accompagne toujours.

  11. Franck armel dit :

    Je retiens ici qu’il existe une possibilité. Grâce effectivement aux opportunités du secteur agricole

  12. Odiren dit :

    L’économie est une science elle ne s’invente pas. Et dans la vraie vie les chiffres parlent.il est bon d’avoir des rêves quand on dirige un pays ainsi que des ambitions, mais occulter ou peindre en doré les chiffres des spécialistes qui mettent en alerte…Aïe ! Aie ! Où conduit-on le peuple ? Le peuple C’EST le pays ! Merci Monsieur Mouissi.

  13. Ari dit :

    Analyse pertinente: sources de donnees credibles; problematique clairement expliquee; ebauche de solutions objectives. High five Mays!

  14. Virus dit :

    Très belle analyse de M.MOUISSI objective propre et dosé merci de toujours nous éclairer M.MOUISSI nous sommes fier de vous.

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