Le 16 octobre dernier, l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) célébrait la Journée mondiale de l’alimentation. Le thème de cette année « Agir pour l’avenir : faim Zéro d’ici 2030 », souligne l’importance d’intensifier les efforts collectifs pour éradiquer la faim dans le monde. Hubert Boulet, Coordonnateur du programme global Sustainable Wildlife Management (Gestion durable de la faune), une initiative du Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), financé par le 11ème Fond Européen de Développement (FED), met l’accent sur la contribution de la faune sauvage à la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique centrale, et notamment au Gabon.

Hubert Boulet, Coordonnateur du Programme Sustainable Wildlife Management, FAO Rome. © FAO/Roberto Cenciarelli

 

Gabonreview : le monde produit suffisamment pour nourrir tous ses habitants. Et pourtant, une personne sur neuf souffre de faim chronique. De plus, les conflits et les changements climatiques compromettent les efforts accomplis en vue de lutter contre la faim et la malnutrition. Qu’en est-il de la situation de la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Gabon ?

Hubert Boulet : Peu de données sont disponibles sur le Gabon mais les quelques statistiques collectées par les services publics avec l’appui de l’UNICEF et de la FAO montrent que les populations au Gabon, comme dans la plupart des pays d’Afrique centrale, sont davantage concernées par des problèmes de malnutrition que de manque de nourriture. Par ailleurs, en zone rurale, les populations fortement enclavées dépendent encore énormément des écosystèmes naturels pour leur alimentation et nutrition. Dans ce contexte, il y a un lien très fort entre sécurité alimentaire et nutritionnelle et gestion durable de ces écosystèmes. Notamment, les apports en protéines sont essentiellement couverts par la faune sauvage, que ce soit par la chasse ou la pêche. Il a été ainsi estimé que dans le Bassin du Congo, plus de 4,9 millions de tonnes de viande de brousse sont chassées et consommées annuellement. Pour être plus concret, c’est presque l’équivalent du poids d’un million d’éléphants.

Gabonreview : En quoi cette dépendance est-elle problématique ?

H.B : L’augmentation constante de la demande en viandes d’espèces sauvages par les villages, villes secondaires et métropoles, liée à l’accroissement démographique a pour conséquence une exploitation accrue des populations animales sauvages. Cette demande est largement incompressible dans les zones rurales reculées où les protéines alternatives d’origine domestique sont difficilement accessibles, pour des raisons économiques, comme l’absence de marché, zootechniques, avec notamment l’absence d’intrants en forêt tropicale, et/ou socio-culturelles.

En absence de régulation de l’offre et de la demande en protéines animales sauvages et domestiques, cette situation entraîne un effondrement des populations animales sauvages, aboutissant au syndrome des « forêts ou savanes vides », à une perte sèche en biodiversité, à une réduction des services environnementaux et à une perte de valeur économique, environnementale et sociale des espaces naturels. Ce contexte généralisé de surexploitation rend les usages consommateurs de la faune peu compétitifs au regard d’activités économiques alternatives consommatrices d’espaces naturels, comme l’agriculture, avec pour conséquences un effet d’entraînement sur les processus de déforestation, d’une part, et une augmentation de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle – et notamment de carences en protéines, d’autre part.

Gabonreview :  Que peut-on faire pour rendre la gestion de la faune durable au Gabon tout en garantissant la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations ?

HB : C’est justement le défi de taille que se propose de relever le programme Sustainable Wildlife Management (SWM – Gestion durable de la faune) dans 12 sites pilotes des pays ACP dont le Gabon. Pour ce faire, ce programme vise une approche holistique (multi-échelle et multisectorielle) de la problématique. Celle-ci relève en effet de processus interdépendants opérant à des échelles multiples, tant locales, par exemple les pratiques de chasse villageoise ou les enjeux fonciers, que globales comme le cours des viandes sur les marchés internationaux, les barrières douanières à l’importation ou le statut commercial de la viande sauvage. Concilier la conservation de la biodiversité et la sécurité alimentaire relève d’enjeux à la fois écologiques, économiques, socio-culturels voire juridiques. La mise en œuvre inédite à ce jour d’une approche multisectorielle, telle que celle envisagée par le programme SWM, est donc une condition nécessaire pour résoudre cette problématique. Pour accompagner les pays bénéficiaires, nous avons mobilisé, pour cela, une combinaison solide d’expériences et de savoir-faire complémentaires dans les domaines de la conservation de la faune, de l’agriculture et de l’élevage à travers un consortium composé de la FAO, du CIRAD, du CIFOR et de WCS.

Gabonreview : Comme vous l’avez souligné, ce programme vise douze pays ACP. Pourquoi le Gabon a-t-il été sélectionné comme bénéficiaire de ce projet d’envergure internationale ?

H.B : Au Gabon, les forêts abritent une biodiversité végétale et animale très riche, qui est traditionnellement utilisée par les populations riveraines mais également par les populations urbaines encore très attachées à leurs racines culturelles. Par exemple, dans le département de Mouloundou, où le programme va intervenir, l’exploitation de la faune sauvage contribue significativement à la sécurité alimentaire et économique des populations rurales faibles en densité. Néanmoins, l’augmentation constante de la demande en viande sauvage par les villes secondaires et métropoles limitrophes résulte en une exploitation accrue des animaux sauvages. Plusieurs approches et initiatives portées par le Gouvernement Gabonais, témoignant de sa volonté politique de faire face à cette problématique, ont été menées jusqu’ici au Gabon qui permettent de bien connaitre déjà les défis à relever mais aussi les opportunités. Notamment, la faible densité de population qui caractérise les zones rurales au Gabon laisse entrevoir la possibilité de mettre en place des filières durables et légales d’approvisionnement en viandes de brousse, en premier lieu au bénéfice des populations rurales les plus vulnérables dont le bien-être et l’identité culturelle pourront être préservés.

Gabonreview : En quoi consisteront plus précisément les activités du programme SWM au Gabon ?

H.B : Au Gabon, comme dans tous les autres pays bénéficiaires, la maitrise d’ouvrage du programme est assurée par la FAO. La mise en œuvre du projet Gabon est quant à elle assurée par le CIRAD, en étroite collaboration avec le Ministère des Eaux et Forêts chargé de l’Environnement et du Développement Durable, et avec l’appui technique des autres partenaires du consortium. La mise en place d’un système de gouvernance et de gestion de la chasse et de la pêche et de la commercialisation des prélèvements sera testée à l’échelon territorial du Département de Mouloundou en collaboration étroite avec les structures déconcentrées et décentralisées du Gabon, ainsi qu’avec les concessionnaires forestiers opérant dans la zone. Les leçons tirées de ce projet d’aménagement pilote de la chasse et de la pêche serviront de base à des propositions d’adaptation du cadre institutionnel et juridique. L’offre en protéines alternatives sera également dynamisée localement après avoir identifié les filières porteuses et évalué l’acceptabilité des diverses sources alternatives d’aliments carnés pour en garantir la pérennité. De manière transversale, toutes les activités seront menées en s’appuyant sur une approche basée sur les droits des communautés et en veillant à obtenir leur consentement préalable, toujours dans un souci de durabilité.

 
GR
 

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