Après sa sortie de la semaine dernière, et suite à la réaction de Blaise Louembe, le journaliste, gérant officiel de la chaine nouvellement cédé à l’Etat, conteste dans cette interview accordée à notre rédaction, les propos de l’ancien propriétaire.

Le journaliste, gérant officiel de la chaine Kanal 7 nouvellement cédé à l’Etat, Jisse Mouidy-Mouidy. © Gabonreview

 

Gabonreview : Concrètement, quel est le contentieux qui vous oppose au ministre Blaise Louembe ?

Jisse Mouidy-Mouidy : Bien, je vais m’attaquer de plein pied à ce qu’il a avancé. Blaise Louembe ne peut pas dire aujourd’hui que lorsqu’on a constitué cette entreprise, je n’ai produit que l’extrait de casier judiciaire. Ce qui est évidemment faux, parce que les gens savent très bien que lorsque vous constituez une entreprise de presse, pour qu’on sache que vous êtes journaliste, il faut produire les papiers qui attestent que vous êtes du métier. Donc s’il le dit, très honnêtement, je ne pouvais pas imaginer un seul instant qu’un membre du gouvernement, quelqu’un qui occupe cette position puisse descendre aussi bas pour développer de tels arguments. Mais c’est quand même triste.

Pourquoi ne vous a-t-il pas confié la gestion de la télévision, selon vous ?

Il dit qu’il ne m’a pas fait gérant parce que je suis retourné en France. Ce qui est faux. Parce que je suis rentré en 2007. Mes anciens collègues du quotidien L’Union le savent. J’étais au Gabon. Et les papiers qui ont permis la constitution légale de cette entreprise sont mes diplômes. Je n’étais pas en France et je l’ai dit à Blaise Louembe toutes les fois que nous nous sommes rencontrés. Je ne pouvais imaginer qu’il descendrait aussi bas.

Venons-en à l’histoire

En 2008, il semble que Blaise Louembe voulait donner une reconnaissance d’utilité publique à sa chaine de télévision Kanal 7 implantée à Koulamoutou. Pascal Migoula, un de ses conseillers vient me voir à L’Union pour me dire que le Conseil national de la communication conditionne l’acceptation du dossier par le recrutement d’un gérant, détenteur au moins d’une maitrise en journalisme et qui ne soit pas fonctionnaire. Ils l’ont cherché, et ne l’ont pas trouvé. Ceux qui avaient une maitrise en journalisme ou plus étaient tous des fonctionnaires. J’étais le seul à avoir le profil adéquat. Il m’a dit, est-ce que ce challenge là t’intéresse ? «Aller à Koulamoutou où tu seras gérant, avec un bon salaire, tu bénéficieras d’un contact sans intermédiaire avec le ministre. En tout cas tu auras l’autonomie financière. Pour ton dossier à la fonction publique, étant donné que Blaise Louembe est ministre du Budget, cela ne devrait être qu’une formalité», m’a-t-il dit. Je ne pouvais pas refuser ça, j’ai accepté sans hésiter.

Dans cette perspective, Pascal Migoula me demande de constituer un Curriculum vitae qu’il rapportera à Blaise Louembe. Il est ensuite retransmis à Maitre Mouyagha, un notaire, qui à son tour me convoque pour monter le dossier juridique. J’apporte au notaire mes trois diplômes que je fais légaliser au consulat de France, à raison de 9 000 francs la copie, soit 27 mille francs les trois. J’ai donc produit mes trois diplômes, l’extrait de casier judiciaire, le certificat médical. Par la suite, je vais avoir pour interlocuteur un certain Ossavou, un homme de main de Blaise Louembe, venu me voir pour me dire qu’il a été chargé de faciliter mes démarches administratives. Dès cet instant, tous les documents que j’étais appelé à signer dans le cadre de ce dossier, il me les apportait et je signais. Peu après toutes ces démarches, je lui ai demandé à quel moment je devrais me rendre à Koulamoutou pour prendre mes fonctions ? Il m’avait répondu qu’il faut attendre que le dossier aboutisse. Je rappelle que j’avais même déjà dit au revoir à mes collègues de L’Union, leur disant que j’allais m’installer désormais à Koulamoutou. Voilà mon problème. Les gens se demandaient pourquoi j’étais encore là.

Le dossier a-t-il finalement été accepté par le CNC ?

Jisse Mouidy-Mouidy. © D.R

 

Lorsque le dossier abouti, on ne m’informe pas. Entre temps, il y a quelqu’un qui travaille à Koulamoutou de manière informelle. Pendant ce temps je fais quoi ? Donc je repars chez Blaise Louembe, mais avant j’en parle à Albert Yangari, mon ancien patron à L’Union, en lui disant que le dossier est accepté, car j’avais rencontré quelqu’un au Conseil national de la communication (CNC), qui m’avait fourni les copies relatives à ce dossier. Sur le champ, il contacte Martin Fidèle Magnaga, l’oncle de Blaise Louembe pour lui faire part de la situation. Un rendez-vous est pris tout de suite avec Magnaga qui me calera un rendez-vous ferme avec Blaise Louembe. Je suis allé au rendez-vous avec mon ancien collègue de L’Union, Olivier Ndembi qui est encore vivant. Arrivés chez Louembe, il me dit : «Mais Mouidy-Mouidy tu as raison, pourquoi on ne t’a pas appelé ? » Il appelle Ossavou et lui dit «mais pourquoi vous n’avez pas appelé Moudy-Mouidy, il a raison de venir me voir. Pourquoi vous ne l’avez-vous pas appelé ? ». Il me passe Ossavou au téléphone pour qu’on s’accorde. Ossavou me dira : «Pourquoi es-tu allé voir le ministre, il fallait venir me voir ?». J’ai dit mais M. Ossavou le dossier a abouti mais vous ne me cherchez pas ! A quel moment je vais à Koulamoutou ? Blaise Louembe reprend alors le téléphone à ce moment précis et lui dit qu’on va s’accorder lui (Ossavou) et moi, avant de revenir le voir. Blaise Louembe va alors me dire «tu sais, à Koulamoutou tu vas t’ennuyer, je suis en train de construire une succursale ici à Libreville. Tu vas être là, ce n’est pas la peine d’y aller». A ce moment, il me vient à l’esprit un fait. J’ai dit : «Mais M. le ministre, lors du cinquantenaire, il y a eu une subvention de l’Etat à certains médias reconnus d’utilité publique dont Kanal 7. Qui a pris la subvention ?» Il dit «c’est moi qui ai pris la subvention». J’ai dit : «Ce n’est pas vous, c’est moi qui devait la prendre !» Il me dit c’est passé désormais. Quand je vais voir Ossavou, ce dernier me dit que lui et le ministre devraient au préalable voir leur avocat. Et il m’a promis de m’appeler, ce qu’il n’a jamais fait jusqu’à ce jour.

Qu’avez-vous fait après cela ?

Blaise Louembe part du ministère des Finances pour le ministère de l’Habitat. Albert Yangari, mon patron de L’Union va céder son poste à Lin-Joël Ndembet qui revient de Gabon matin. Surpris de me retrouver là, alors qu’il me croyait parti à Koulamoutou, M. Ndembet va me demander ce que je faisais encore là. Après mes explications, il va appeler Blaise Louembe sur le champ. Un autre rendez-vous est pris pour le lendemain, dans le bureau de Blaise Louembe. Quand j’y arrive, je trouve Blaise Louembe, Pascal Migoula et le fameux Ossavou. Ah là il m’a tancé : «Mais tu racontes quoi ? Je te dois ? Je ne te dois pas. Et puis, c’est quoi cette affaire ? Bon, dis-moi combien je te dois et pourquoi je te dois. Est-ce que tu as travaillé ? Tu veux que je te paye pourquoi ?». J’ai dit mais M. le ministre, vous m’avez recrutez. Il a répondu : «Oui mais c’est quoi, et puis tu racontes quoi ? Pascal Migoula c’est toi qui m’as amené ce monsieur, les problèmes commencent comme ça. Et puis d’ailleurs, qu’est-ce qu’on peut me faire dans ce pays ? Je n’étais pas obligé de faire cette reconnaissance d’utilité publique. On peut me faire quoi dans ce pays ? Je n’étais pas obligé, on allait me faire quoi ?». Je ne pouvais rien dire au milieu des trois.

Qu’envisagiez-vous à ce moment précis ?

Je me suis retiré avec Pascal Migoula qui va me tendre trois feuilles et me dira d’écrire ma démission. J’ai dit mais pourquoi voulez-vous me la faire écrire sous la contrainte ? Et il me dira mais non, fais-le puisqu’il a dit qu’il ne veut pas de gérant. J’ai donc promis d’aller réfléchir. En rentrant à L’Union, j’ai donc écrit à Blaise Louembe, en disant que «suite à l’entretien que j’ai eu avec vous ce jour au sujet de ma situation à Kanal7, j’adhère à votre idée de renonciation ». Et j’ai ajouté que toutefois, «la renonciation définitive de mon nom, est subordonnée à un arrangement financier que je vous laisse le soin de proposer». Pour toute réponse, il va écrire à la marge de cette correspondance : «oui mais faites une proposition, c’est vous qui vous plaignez». Aujourd’hui, il dit que je n’ai fourni que l’extrait de casier judiciaire. C’est quand même assez triste de savoir qu’un homme qui occupe un rang de cette envergure, en soit à développer ce genre d’arguments. Vraiment, je suis très gêné par cette situation.

Aviez-vous finalement conclu d’un montant ?

Quand il part du ministère de l’Habitat, j’ai encore attendu six ans pour essayer de négocier à l’amiable. Je croise un certain Biongolo, conseiller à la Présidence, à qui j’explique le problème. Il va voir Blaise Louembe et arrête un rendez-vous avec lui et moi ensemble. Le vœu du conseiller était qu’on arrange à l’amiable. Blaise Louembe va dire à cette occasion que «de toutes les façons, il était retourné en France». Naturellement, je vais réagir tout de suite en disant que «je ne suis pas retourné en France, je suis là. Je vous harcèle, donc vous ne pouvez pas utiliser cet argumentaire».

Biongolo va alors me demander de retirer la plainte que j’avais déjà déposée avec Maitre Oyane, mon avocate. Je lui ai dit que j’étais prêt à retirer ma plainte, sauf que Blaise Louembe devrait au préalable me dire combien il comptait me dédommager pour qu’on fasse un procès-verbal, comme ça je vais la retirer. Il n’a jamais fait cette démarche, et j’ai encore attendu. Voilà pourquoi les deux dernières années j’étais obligé de retourner voir mon avocat, puisqu’apparemment c’est moi qui dois fixer le montant. Je me suis dit que ce sont peut-être des termes de droit qui interviennent, l’avocate devait faire son boulot. Elle l’a fait, et a souhaité que Blaise Louembe paye 150 millions de dommages et intérêts et tous les autres griefs qu’elle a évoqués. Mais le tribunal a condamné Blaise Louembe à ne payer que 10 millions de francs CFA. Une condamnation assortie d’une décision exécutoire. Et voyant que Blaise Louembe ne bougeait pas, l’huissier sollicité à cet effet a fait des saisis sur les comptes de Blaise Louembe, mais en réalité les banques n’ont pas coopéré. Parce que les banques ne nous ont pas dit combien Blaise Louembe avait dans ses comptes. Donc on n’a rien bloqué. Aujourd’hui son avocat dit que 30 millions de Blaise Louembe ont été bloqués. Ce qui est faux. Il ne nous a produit aucun document qui atteste que le préjudice causé à M. Louembe constitue une preuve irrévocable, c’est-à-dire suffisamment grave pour que Blaise Louembe en soit asphyxié. Mais nous n’avons pas bloqué ses comptes. On a tenté, mais les banques n’ont pas coopéré.

Vous a-t-il payé les 10 millions ou pas ?

Il a entrepris deux démarches au tribunal. Il a saisi la Cour d’appel pour la levée de la sanction du mot exécution de la peine. Il a aussi fait appel sur le mot saisie des comptes, pour qu’on lève la décision de saisie des comptes. Comme ça, il retrouve la plénitude de jouir librement de ses fonds. Comme il dit qu’il gagnera en appel, parce que dans ce pays on ne peut rien lui faire, on attend la suite. Tout ce que Blaise Louembe raconte, franchement je suis gêné. Vous savez, j’ai une certaine éducation. Je sais respecter les grands. Jusque-là, je l’ai respecté depuis six ans. Je me suis rendu compte qu’il y a des gens qui n’aiment pas le respect. La décision en appel sur la levée ou non du mot exécution, nous l’aurons dans les prochains jours

Louembe assimile votre démarche à celle d’un prête-nom, que répondez-vous ?

Il ne parle pas que d’un prête-nom, il parle même d’acharnement. Je ne sais s’il y a eu acharnement en 8 ans. L’acharnement c’est plutôt moi qui le subit, les humiliations psychologiques c’est bien moi qui les vit, parce que j’avais dit au revoir à mes amis de L’Union sans m’en aller. L’affaire de prête-nom, je vois finalement que c’était son intention. (air ironique) Et j’ai vu là-dedans qu’il connaissait le droit. Il est parti depuis un certain nombre d’années du ministère de la Communication, je ne pouvais pas imaginer qu’il connaissait encore le code de la Communication. Quand il ressort certains articles qui condamnent une personne qui prête son nom pour la constitution d’une entreprise de presse, je me rends compte que c’était sa démarche, puisque jusque-là il n’a pas voulu que je travaille. C’est ce qu’il voulait, mais apparemment il se condamne lui-même. Bien heureusement qu’il a sorti le mot lui-même, je ne l’ai jamais pensé. Mais il l’a sorti. C’est moi qui cherche à travailler et il parle de prête-nom. Mais si c’était le cas, pourquoi il n’a pas développé cet argumentaire ? Pourquoi ne m’a-t-il jamais poursuivi en justice ?

Pourquoi ne lui avoir pas exigé un contrat dès le départ ?

Le contrat était verbal. Dès lors que l’entreprise est constituée, le contrat s’impose. Dans le courrier que j’ai reçu du CNC, il est marqué gérant de Kanal 7, donc le contrat s’impose. Blaise Louembe savait très bien ce qu’il faisait, mais ne savait pas qu’il avait affaire à quelqu’un qui l’a laissé faire. Mais la personne se rend compte finalement que ce n’était pas la bonne personne. Je crois que lorsqu’un ministre est mis en examen, c’est qu’il a été entendu par le juge, par l’intermédiaire de son avocat. Il a été condamné. Je ne suis pas sûr qu’un ministre de l’égalité des chances qui a été mis en examen soit assez crédible pour figurer dans un gouvernement démocratique.

Auteur : Alain Mouanda

 
GR
 

2 Commentaires

  1. Allo241 dit :

    C’est la fin. Tu as tout dit.
    Bravo Mr Mouidi Mouidi. Ho ne dame.dibale.lebaghela.
    Et que vive légalité des malchances !

  2. Juan dit :

    Frère Jisse, je suis au regret de constater qu’en tant que professionnel vous vous êtes laissé abuser, non pas par un homme politique mais par un homme d’affaire. Grande faute est à vous même de n’avoir pas mis sous papier (contrat ou engagement) l’ensemble des dispositions prises entre la Direction de Cana7 et vous! Mais votre expérience fera école, pour que beaucoup après vous sachent que la tradition orale a ses limites dans ce 21ème siècle.

Poster un commentaire