Alors que sur le plan national les autorités ont échoué dans la mise en œuvre effective de la protection de l’environnement, au regard de la forte corruption qui règne dans le secteur de l’exploitation des ressources naturelles, la Cop21 semble devenir leur nouveau cheval de bataille, bien que rien n’est encore acquis. Invitée, le 16 novembre courant sur la matinale de Radio Gabon, la ministre de la Protection de l’environnement et des Ressources naturelles de la Forêt et de la Mer, a tenté de vendre le «Gabon vert», non sans annoncer au passage la reprise prochaine des travaux sur la future Marina de Libreville.

Avec les journalistes de Radio Gabon, Flore Mistoul, ministre de la Protection de l’environnement et des Ressources naturelles de la forêt et de la mer. © gabondirect/Twitter

Avec les journalistes de Radio Gabon, Flore Mistoul, ministre de la Protection de l’environnement et des Ressources naturelles de la forêt et de la mer. © gabondirect/Twitter

 

Quelles sont les réformes et les réalisations à mettre à l’actif de votre ministère depuis ces six dernières années, marquées par la mesure relative à l’interdiction d’exportation des grumes ?

Le ministère dont j’ai la charge, qui gère l’économie forestière et la gestion durable, a pour objectif la mise en œuvre de la politique du gouvernement en matière d’industrialisation, de valorisation du bois mais aussi de valorisation des produits forestiers non ligneux. 85% de la superficie du Gabon, 22 millions hectares, comprend un certain nombre d’espèces et de choses qui font en sorte que nous soyons aujourd’hui le deuxième poumon forestier après l’Amazonie. Ce qui fait que nous pouvons aller de l’avant. Et sur ce point, nous avons la Cop21 qui arrive, malgré les évènements que nous connaissons (attaques terroristes survenus à Paris, ville d’accueil de la Cop 21, dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015, ndlr), parce que nous avons des enjeux importants. Le premier enjeu est celui de faire entendre notre voix en faveur d’un cadre juridiquement contraignant, parce que nous y avons travaillé. Aussi, nous espérons faire entendre la voix du président de la République, qui prône un développement durable prenant en compte la protection de l’environnement. Nous sommes parmi les premiers à pouvoir fournir 50% des gaz à effet de serre en 2050, mais également à faire en sorte que le Gabon ait une contribution prévue déterminée au niveau national (CPDN). Nous devons aussi être présents à la Cop21 parce que le président de la République est le président de la 11è Convention des Nations-unies pour tout ce qui est forestier, et il est aussi le vice-président de la Conférence des ministres africains sur l’environnement.

La forêt gabonaise, depuis notre prise de fonction travaille avec les collaborateurs que nous avons trouvés. Des choses sont faites, des réformes ont été initiés et se poursuivent. Celles-ci vont, sur le plan stratégique, de la mise en place des décisions du président, notamment celle de novembre 2009 relative à la suspension de l’exportation des grumes. Cette suspension avait pour objectif de renflouer et de mieux contribuer à la gestion et à l’enrichissement du pays. Mais l’une des plus grandes réformes est celle de la révision du Code forestier. Cette révision se fait et nous réfléchissons avec les forestiers, parce qu’il s’agit d’un travail consensuel, et nous entendons faire participer tous les acteurs. A l’issue de celui-ci, le document devra servir aussi bien à l’administration qu’aux opérateurs économiques.

Flore Mistoul (au centre) avec Kennie Kanga et Hass Nziengui, journalistes de Radio Gabon. © gabondirect/Twitter

Flore Mistoul (au centre) avec Kennie Kanga et Hass Nziengui, journalistes à Radio Gabon. © gabondirect/Twitter

Sur le plan national nous aspirons au quotidien les rejets des pots d’échappement des véhicules. Que prévoit faire le gouvernement sur cette question d’hygiène et de santé publiques ?

Nous avons une structure habilitée à gérer ce genre de choses. Une structure qui établit les règles et conseille les opérateurs économiques : c’est le Centre national antipollution. En plus de la loi sur l’environnement, il y a également des textes d’application qui sont en train d’être pris. Des textes qui vont dans le sens de mieux gérer, entre autres, les véhicules importés de plus de trois ans qui, avant d’entrer sur le territoire, feront l’objet d’examen, tout comme les véhicules en circulation actuellement.

Une autre situation déplorable : l’exploitation du kevazingo, notamment dans l’Ogooué-Ivindo, qui a récemment conduit à l’arrestation du directeur provincial des Eaux et Forêts. Votre avis sur la question…

Sur cette question, beaucoup de choses ont déjà été dites. En effet, l’exploitation irrégulière du bois, particulièrement du kevazingo, est un gros souci pour notre pays. Cette essence est prisée par certains pays, notamment asiatiques, et il en résulte ce fait hors norme. Si nous n’arrêtons pas cette manière de faire, nous risquons de ne plus avoir cette essence dans nos forêts dans cinq à six ans. Nous avons tout fait, en vue d’une interdiction provisoire de l’exploitation du kevazingo, pour amener nos équipe à mettre en place des études dans le but d’examiner cette question, en identifiant le nombre d’arbres abattus depuis toutes ces années, le nombre restant, d’autant qu’il s’agit d’un bois assez rare, qui demande 500 ans pour se régénérer. Dans un premier temps, le kevazingo va rejoindre le reste des essences protégées, en attendant qu’on voie plus clair.

L’arrestation du directeur provincial ne serait-elle pas une façon pour vous, ministre, de nettoyer l’écurie ?

Nettoyer l’écurie, non. Nous venons travailler et nous voulons le faire dans la légalité. La gestion forestière doit être régulée. On ne doit pas pouvoir travailler dans tout ce qui est illégalité. Dès notre arrivée, nous avons constaté qu’il y avait des autorisations de bois dits «abandonnés». Mais ce bois abandonné ne l’était que de nom, parce que la plupart dudit bois était coupé par les personnes qui souhaitaient recevoir ces autorisations. Là aussi, nous avons pris une décision : suspendre cette manière de faire. Aussi, ces bois dits abandonnés n’existent dans aucune législation. C’est une habitude entretenue par les agents véreux et les opérateurs économiques pour gagner malhonnêtement de l’argent. Nous y avons mis fin, à travers des structures de contrôle mobile sur le terrain, qui travaillent de nuit comme de jour, avec l’accompagnement de l’Agence nationale des parcs nationaux et de l’Ageos (Agence gabonaise d’études et d’observations spatiales, ndlr), pour que nous contrôlions de manière satellitaire notre forêt.

Où est-on avec la loi sur les produits non ligneux ?

La loi sur les produits non ligneux attend la révision du Code forestier, avant qu’on prenne un texte d’application. Il va donc falloir qu’on termine avec la révision dudit code qui, pour 500 articles, est à environ à 80% de l’étude. Au mois de mars 2016 au plus tard, cette loi sera sur la table du gouvernement.

Le document prévoit-il des mesures d’accompagnement pour les populations locales ?

Oui, il y aura des mesures d’accompagnement. Nous avons ce que nous appelons « forêts communautaires », qui ont été créées pour permettre aux villageois de profiter de la richesse du bois, et pour permettre aux opérateurs économiques installés à proximité d’aider ces villageois. Toute une révision doit également être faite sur ces forêts communautaires. Je trouve que les dispositions qui y figurent sont un peu contraignantes. Je vais donc voir avec les collaborateurs comment faire accéder nos concitoyens aux forêts communautaires. D’autant que depuis 2009, il n’y a que trois forêts communautaires qui ont été attribuées. Une chose qui n’est pas normale.

Comment entendez-vous gérer la question du conflit homme-faune, alors que l’éléphant, principal responsable des dévastations des plantations, est un animal protégé ?

Nous avons trouvé sur la table l’indemnisation des populations, mais en regardant ce dossier nous avons constaté que cette indemnisation ne suffisait pas. Si on indemnise aujourd’hui et que les éléphants reviennent le lendemain, je pense que ce serait peine perdue. Nous y avons donc travaillé en profondeur. Au mois de juillet dernier, il s’est tenu un forum avec la FAO (Organisation des Nations-unies pour l’alimentation et l’agriculture, ndlr), qui a donné lieu à un certain nombre de précautions, notamment « la boîte à outils », qui comprend des barrières, des ruches d’abeilles et des balles à piment, et va pouvoir être expérimentée. Nous sommes d’ailleurs allés plus loin, pour savoir les causes qui justifient que les pachydermes sortent de leur gîte pour se retrouver près des villages. A cette question, nous répondons que c’est parce qu’il y a une gestion forestière qui n’est pas suivie et qui fait que ces pachydermes n’aient plus de produits pour leur alimentation, qu’ils trouvent désormais au village. Face à cela, nous souhaitons mettre en place un mécanisme d’assurance comme dans d’autres pays, pour la prise en charge des différents accidents, parce que nous sommes dans le domaine des risques, et il va falloir que nous fassions attention, d’autant que l’Etat ne prendra pas indéfiniment en charge les populations. Ce sera donc l’Etat et les exploitants forestiers, qui sont aussi à l’origine de la déforestation.

S’agissant du trafic d’ivoire. Avons-nous jusqu’à lors une estimation du nombre de pachydermes enregistrés dans le pays ?

Oui. En 2001, nous ne comptions pas moins de 60 000 pachydermes. Aujourd’hui nous nous retrouvons à peine avec 40 000, parce que ces éléphants ont été combattus, tués pour une exploitation illégale. Et le même trafic d’ivoire peut également être dû à la demande du même continent que pour le trafic du kevazingo.

Revenons sur les questions environnementales. Aujourd’hui, notre littoral connaît une importante érosion, due en partie à l’extraction illégale du sable par des opérateurs économiques. Que fait votre département ?

Sur cette question, nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère des Mines et de l’Industrie. Nous avons interdit l’exploitation des sables marins.

Et sur la question de la limitation des plages ? Il semble qu’elles avancent de plus en plus vers les villes…

C’est tout à fait normal, en raison du réchauffement climatique. C’est donc normal qu’il y ait une érosion de ces plages. Nous comptons tout de même 800 km de côtes dans ce pays, mais nous faisons en sorte que tout se passe bien.

L’opinion est persuadée que le sable prélevé dans le Komo pour la construction de la future Marina a eu des conséquences sur l’environnement. Qu’y répondez-vous ?

Non, aucune conséquence ! Les collaborateurs ont à faire des études d’impact environnemental, ceci à plusieurs reprises d’ailleurs. Aucune nocivité, aucune pollution n’a été révélée. Je vais d’ailleurs vous annoncer la reprise prochaine desdits travaux.

A propos des pollutions dues aux pots d’échappement des véhicules. Votre département est-il équipé pour les déceler ?

Je vous disais tantôt que le Centre national antipollution, qui établit toute la réglementation concernant ce phénomène est à pied d’œuvre. Il y a un arrêté que je viens de signer, qui réfléchira sur les moyens de protection des populations contre cette pollution due aux rejets des pots d’échappement.

La Cop21 semble peu intéresser les Gabonais. Souhaitez-vous revenir sur ses enjeux pour tenter de convaincre les incrédules ?

Oui ! La 21e Conférence des parties est vraiment un élément important, parce qu’il vient résoudre le problème de la planète. Sachant que le Gabon y prend une part assez importante, nous devons pouvoir tout faire pour y être présents. En tant que deuxième poumon de carbone, grâce à nos forêts, nous pouvons aider la planète à mieux réagir.

Important, certes, mais l’habitant de Moulengui-Binza, dans la Nyanga dira qu’il n’y trouve pas d’intérêt…

Cet habitant ne gagnera rien de palpable mais il y gagnera par rapport à sa vie, par rapport à la planète, parce que, s’il vit dans un cadre agréable comparé à d’autres dans les pays industrialisés, où ils ont aujourd’hui des difficultés à vivre. En Chine, par exemple, vous ne parviendriez pas à observer votre voisin en face. Or, le Gabon est un pays où il fait bon vivre.

Un mot pour la fin ?

Demander aux exploitants qui gèrent la forêt gabonaise de nous aider à contribuer à l’effort de l’enrichissement et du développement de notre pays, pour ne plus rester dans la première transformation, qui est représentée aujourd’hui par une centaine d’exploitants au moins, mais pour rentrer dans la deuxième. Nous voulons arriver à des produits finis, qu’il y ait un transfert des compétences. Nous volons une plus-value dans les comptes de l’Etat. Aussi, voudrais-je lancer un appel aux collaborateurs qui sont les miens : nous sommes venus, pas pour faire la chasse aux sorcières mais pour travailler pour l’intérêt général de notre pays. Nous voulons que tout ce qui rentre, rentre dans les caisses de l’Etat, et non dans le phénomène lié à l’établissement de permis et de faux documents. Nous nous attelons, en vue de mettre fin à tout cela. Nous avons la fermeté qu’aujourd’hui, nous ne reculons pas, nous irons de l’avant pour faire interdire toutes ces pratiques, qui ne sont pas bonnes à regarder. Surtout pour un ministère comme celui de l’environnement et de la gestion durable de la forêt.

Source : interview réalisée par Hass Nziengui et Kennie Kanga pour Radio Gabon

 

 

 
GR
 

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